Le Maroc a acheté un grand nombre de drones au régime israélien ces dernières années, permettant aux forces de Rabat de mener des attaques au plus profond du territoire sahraoui où les gens vivent désormais sous une surveillance parrainée par Israël et où ils sont harcelés, selon ce que vient de révéler un rapport.
Sidi Owgal, un haut responsable militaire au sein du Polisario qui est actuellement le chef de la sécurité présidentielle, a déclaré à The Intercept que les drones israéliens utilisés au Sahara Occidental faisaient un travail de surveillance en même temps qu’ils visaient directement des cibles.
Abwa Ali, un commandant au sein du Polisario, avait personnellement vu des fragments de missiles portant des lettres hébraïques.
Une partie de l'arsenal marocain de drones israéliens pourrait en effet être utilisée comme drone d'attaque : le Heron TP et l'Hermes 900 peuvent être utilisés à la fois pour la surveillance et les attaques, alors que le Harop l’est uniquement pour les frappes.
« Les Harop sont ce que nous appelons des "munitions vagabondes" ; ils sont chers et ils ne peuvent frapper qu'une seule fois parce qu'ils explosent à l'impact », a déclaré Borsari. « Ils seraient très probablement utilisés contre des cibles de grande valeur. »
De hauts responsables en territoire sahraoui affirment que la prolifération des drones israéliens au Maroc rend une guerre déjà inégale entre le Maroc et le Polisario, complètement asymétrique.
« Le peuple sahraoui a le sentiment qu’il devient chaque jour davantage semblable à celui de la Palestine », a déclaré Mohamed Sidati, ministre des Affaires étrangères de la République arabe sahraouie démocratique.
Owgal et Sidati ont déclaré que des conseillers israéliens sont sur le terrain du côté marocain du mur des Sables pour conseiller les Forces armées royales marocaines sur leur utilisation de la technologie des drones. « Ils sont là … non loin du mur des Sables », a déclaré Sidati.
Federico Borsari, chercheur spécialisé dans les technologies sans pilote au Center for European Policy, estime « qu'il est non seulement possible mais très probable qu'Israël ait envoyé des conseillers sur le terrain au Maroc pour former les Forces armées royales à l'utilisation des drones ».
Les médias marocains ont également déclaré que Rabat prévoyait de fabriquer des drones "kamikazes" en partenariat avec Tel-Aviv, et que la société israélienne Elbit Systems a récemment annoncé l'ouverture de deux usines au Maroc pour produire des "systèmes de défense".
En décembre 2020, un mois après la fin du cessez-le-feu entre le Maroc et le Polisario, le président de l'époque, Donald Trump, a annoncé le soutien américain à la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Cette reconnaissance contrevenait à la position des Nations Unies, qui considèrent le Sahara Occidental comme un "territoire non autonome", un euphémisme pour une colonie.
En échange du soutien américain au Sahara occidental, le Maroc a adhéré aux soi-disant accords d'Abraham, une série d'accords négociés par Trump et son gendre, Jared Kushner, qui ont conduit certains États arabes à normaliser leurs relations avec Israël.
Depuis lors, Rabat est passé de liens secrets avec Tel-Aviv à devenir son allié ouvert tandis qu’Israël a vendu au moins 150 drones au Maroc.
Le Maroc a annexé la vaste région du Sahara occidental, une ancienne colonie espagnole, dans les années 1970 et il est depuis en conflit avec le Front Polisario, soutenu par l'Algérie, un mouvement qui cherche à établir un État indépendant sur le territoire et à y mettre fin à la présence marocaine.
Le Maroc contrôle actuellement 80 % de la région, y compris ses gisements de phosphate et ses eaux de pêche. Il a construit un mur d'environ 2 700 km (1 700 milles) de long traversant le territoire contesté pour éloigner les Sahraouis de la région riche en ressources. (Il est appelé le « mur des Sables », « mur marocain », « mur de défense » ou « mur de sécurité » au Maroc et « mur de la honte » par ses opposants, ndl)
La population autochtone du Sahara occidental est fermement opposée au contrôle marocain et elle a appelé à l'indépendance du pays d'Afrique du Nord et à un référendum sur son autodétermination, ce qui a été promis à la région dans les résolutions de l'ONU, sans aboutir pour autant à un résultat tangible.
L'ONU a déployé la mission de maintien de la paix MINURSO dans la région pour surveiller un cessez-le-feu de 1991 et organiser un soi-disant référendum sur le statut de la région.
Cependant, les envoyés de l'organisme mondial n'ont pas réussi à préparer le terrain pour un référendum sur l'avenir du Sahara occidental.
Alors que l'achat par le Maroc de drones israéliens est signalé depuis 2014, leur utilisation au Sahara occidental est moins bien documentée.
Un journaliste local a partagé des photos qui avaient circulé sur les réseaux sociaux et montraient un drone israélien Heron à l'aéroport de Dakhla, une ville du côté marocain du Sahara occidental ; les photos datent de fin 2020 et début 2021. Les détails du hangar sur les photos correspondent aux images de l'aéroport de Dakhla.
De plus, des images satellites commerciales montrent ce qui ressemble fortement à un drone Heron à l'extérieur du hangar en octobre 2021.
Israël a d'abord vendu trois drones Heron au Maroc dans le cadre d'un accord unique négocié par la France six ans avant le rapprochement officiel entre les deux parties.
En novembre 2021, l'Algérie a révélé que le Maroc avait utilisé des "armes sophistiquées" pour frapper trois camionneurs algériens alors qu'ils passaient apparemment par le Sahara occidental contrôlé par le Polisario.
En 2022, deux citoyens mauritaniens auraient été tués par des frappes de drones marocains. Sidati a également allégué qu'il y avait eu de nombreuses victimes civiles. « Les Marocains ont une politique de la terre brûlée », selon lui.
La Mission des Nations Unies pour le référendum au Sahara occidental a déclaré dans son dernier rapport, en octobre 2022, qu'elle n'avait pu confirmer de manière indépendante qu’il y avait eu des victimes dans une frappe de drone même si elle a reconnu avoir trouvé des traces de restes humains sur quatre sites situés ailleurs que là où ont été tués les deux mauritaniens.
Le conflit de longue date entre les deux parties a reçu une attention renouvelée en raison de la frustration croissante du peuple sahraoui, en particulier après que les États-Unis aient ignoré les efforts de l'ONU en soutenant la revendication de souveraineté du Maroc sur l'ensemble du territoire contesté en 2020.
Le Maroc est devenu le quatrième pays arabe – après les Émirats arabes unis (EAU), Bahreïn et le Soudan – à conclure un accord de normalisation avec Israël, qui a été négocié par l'administration de l'ancien président américain Donald Trump lors des derniers jours de son mandat. Dans le cadre de l'accord controversé, Trump a accepté de reconnaître l'autorité du Maroc sur le Sahara occidental.
Or son successeur Joe Biden n'a pas mené d'actions nécessaires pour rendre effective sur le terrain la reconnaissance de la souveraineté marocaine.