Le New Yorker s’est penché dans son édition du 8 décembre sur le cas d’échange de prisonniers entre l’Iran et les États-Unis ; un échange qui a eu des acteurs au-delà des canaux officiels.
Le ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif a publié un tweet annonçant la libération simultanée du chercheur iranien Masoud Soleimani détenu aux États-Unis et de Xiyue Wang, accusé d'espionnage pour les États-Unis en Iran.
Xiyue Wang, doctorant en histoire à l'université de Princeton, a été condamné en 2016 à une peine de dix ans de prison en Iran pour deux accusations d'espionnage. L'échange a également mis fin au cas de Masoud Soleimani, professeur à l'université Tarbiat Moddares de Téhéran et spécialiste des cellules souches, qui a été arrêté et détenu aux États-Unis sans procès. Il s'y était rendu le 22 octobre 2018 pour des travaux de recherches au centre Mayo Clinic dans le Minnesota. Il avait été accusé d'exporter des protéines utilisées pour cultiver des cellules à des fins de recherche médicale sans licence américaine.
Il s’agit du premier échange de prisonniers entre Téhéran et Washington depuis l'arrivée au pouvoir du président américain Donald Trump. Cet épisode a alimenté les hypothèses sur les négociations secrètes entre l'Iran et les États-Unis. Mais le magazine New Yorker a publié ce dimanche un récit de la libération des deux prisonniers, qui, s’il est correct, montre que cet échange était plus que le résultat des actions des ONG et de canaux officieux.
Trump s’est approprié la réussite de cet échange en remerciant le gouvernement suisse qui représente les intérêts américains en Iran depuis que Washington a rompu ses liens avec Téhéran en 1980. Pourtant, d'autres personnes impliquées dans le dossier affirment que l'administration américaine a falsifié les faits et ignoré les trois années qu’elles ont consacrées aux négociations diplomatiques pour résoudre l’affaire.
Les déclarations anti-iraniennes de Brian Hook deux jours avant l'échange
À Zurich, Xiyue Wang a été remis à Brian Hook, le représentant spécial des USA pour l'Iran. Le Département d'État a tweeté une photo des deux hommes sur le tarmac devant un avion bleu et blanc de l'Air Force. Mais Hook avait été parmi les plus réticents à traiter avec l'Iran, selon plusieurs sources proches des négociations. Il ne s'est engagé dans le dossier que ces dernières semaines, après qu'un échange semblait avoir lieu avec ou sans lui ».
La libération des Américains emprisonnés à l'étranger est l'un des défis les plus difficiles auxquels les États-Unis sont confrontés. Cela implique généralement une myriade d’acteurs et d'intérêts, souvent en dehors du gouvernement américain, comme ce fut le cas lors du dernier échange avec l'Iran, explique l'auteur de l'article paru dans le magazine américain.
Frustré que l'administration n'arrive à rien, Jason Poblete, l'avocat de la famille Wang, a déclaré qu'il avait tendu la main à l'ancien membre du Congrès du Kansas, Jim Slattery. Pendant des années, Slattery avait engagé avec les Iraniens un dialogue interreligieux abrahamique; il avait également voyagé en Iran et connaissait le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, et l'ambassadeur iranien aux Nations unies, Majid Takht-Ravanchi, diplômé de l'Université du Kansas.
« Slattery et moi explorions de nombreuses options possibles pour aider M. Wang, y compris des voies humanitaires qui devraient toujours être ouvertes, surtout lorsque les relations entre les nations sont difficiles. Ces voies peuvent être utiles pour garantir la libération des Américains », a dit Poblete au New Yorker.
L'ancien envoyé américain aux Nations unies, Bill Richardson, est un autre acteur du dossier cité dans le rapport du New Yorker. Il a déclaré qu'il s’était investi vingt mois dans les négociations avec l'Iran dans les coulisses. « Je conteste la version de l'administration, car nous avons négocié l'accord », a-t-il affirmé. Il avait rencontré de hauts responsables américains - de la Maison Blanche, du Département d'État et du Département de la justice - ainsi que des diplomates iraniens et des avocats de la défense de M. Soleimani.
Réunion déterminante en marge de l'Assemblée générale des Nations unies
Le tournant est survenu en avril, lorsque le chef de la diplomatie iranienne a publiquement manifesté son intérêt pour un swap. En marge de l’assemblée générale de l’ONU à New York, Mohammad Javad Zarif a rencontré Bill Richardson, en présence de Jim Slattery. Ensemble, ils ont convenu des détails sur l’échange.
La première percée a coïncidé avec un changement au sein de l'administration Trump après le départ de John Bolton, un autre faucon anti-iranien, du Conseil de sécurité nationale, en septembre. Il a été remplacé par Robert O’Brien, négociateur en chef du département d'État pour la libération des prisonniers. Parmi les familles d’otages, O’Brien a été reconnu pour avoir suscité plus d’intérêt à la Maison Blanche. Richardson aurait travaillé en étroite collaboration avec O'Brien.
Richardson, Slattery et Poblete s'attendaient à ce que l'échange se déroule la semaine prochaine. Dans un accord de plaidoyer sur lequel Slattery a travaillé avec les avocats de Soleimani, le scientifique iranien devait comparaître devant un tribunal d'Atlanta le 11 décembre, date à laquelle il devait plaider coupable, être condamné à une peine purgée, puis être expulsé en quelques jours. Après la décision du juge, l’Iran libérerait Wang qui serait conduit à l’ambassade de Suisse à Téhéran et la Suisse le mettrait alors dans un avion pour le Qatar. Richardson a rencontré l'ambassadeur iranien aux Nations unies le 4 décembre pour confirmer les derniers détails.
Le gouvernement américain a abrogé toutes les allégations contre Soleimani et cela a été signalé à l'avocat de ce dernier, un dénommé Lenny Franco. Richardson, Slattery et Pablet disent qu'ils n'étaient pas au courant du changement et qu'ils en ont été informé après l'annonce de l'échange. Richardson attribue cette décision à l'esprit de Trump et aux efforts de son administration pour maintenir la crédibilité de toute action en leur nom.
Cependant, à la surprise générale, le ministère de la Justice a abandonné toutes les charges contre Soleimani, a annoncé samedi un responsable de l'administration. Il n'a pas fourni de détails. « Nous pensons que, compte tenu de l'orientation de l'affaire Soleimani, le fait que nous ayons pu utiliser les intérêts de l'Iran pour le faire rentrer chez lui pour stimuler les négociations qui ont conduit au retour de M. Wang - nous considérons que c’est très bonne affaire pour les États-Unis », a-t-il déclaré.
Le ministère de la Justice n'a pas fait de commentaire. Slattery a déclaré que les hauts responsables de la Maison Blanche ont approuvé brutalement l'abandon de toutes les charges contre Soleimani. « Juste au cours des trois derniers jours, des instructions au plus haut niveau du gouvernement ont été données pour rejeter l'accord de plaidoyer et abandonner toutes les accusations », a-t-il expliqué.