Daily Beast vient de publier un article de Patricia Ravalgi sur les récentes déclarations du président américain concernant le danger d'une "guerre civile" aux États-Unis.
Patricia Ravalgi a passé 19 ans à Washington et a occupé différents postes au sein des renseignements au Congrès ou au FBI, mais aussi au département de la Sécurité intérieur (notamment dans le domaine de la lutte antiterroriste et du contre-espionnage). Elle a été également analyste au CENTCOM.
L’auteur écrit que plus tôt cette semaine, le président des États-Unis, Donald Trump, commandant en chef des forces armées américaines, avait tweeté que son destitution « provoquerait une guerre civile » dont le pays pourrait ne jamais se remettre.
« Trump n’a pas simplement dit que son renvoi entraînerait une énorme défaite électorale pour les démocrates, voire des manifestations de masse. Il a dit “guerre civile”. C’est-à-dire que les Américains prendraient les armes contre d’autres Américains en son nom », souligne Patricia Ravalgi.
Elle explique qu’à l’ère moderne, les guerres civiles sont considérées comme le problème des pays en voie de développement, c’est-à-dire des conflits qui divisent les nations et les sociétés là où il y a des fractures politiques, ethniques ou religieuses. Mais que sera la position de l’armée américaine si une chose pareille se produit aux États-Unis comme l’a prévu le président Trump ?
En réalité, un regard de l’intérieur indiquerait que les forces armées seront aussi divisées que le reste du pays. « Un pays divisé est un endroit dangereux pour l’armée américaine », estime l’auteur.
Patricia Ravalgi souligne que le système politique des États-Unis repose sur un principe important de la Constitution portant sur « le contrôle civil sur une armée non politisée ». Mais elle croit que les théories de complot de droite et les discours politiques haineux se sont développés également dans une partie non négligeable de l’armée américaine.
« Il n’y a pas très longtemps, la majorité des membres de l’armée américaine se présentaient comme adeptes d’un "reaganisme" républicain. Mais ce type de républicanisme a été remplacé par le trumpisme d’abord au milieu des républicains civils et il commence à se répandre aussi parmi les membres des forces armées. De ce point de vue, même Ronald Reagan serait considéré comme un socialiste », écrit-elle.
Patricia Ravalgi ajoute que des sondages d’opinion récents montrent que la cote de popularité de Donald Trump est proportionnellement supérieure parmi les anciens combattants de l’armée américaine par rapport aux citoyens interrogés. Or, selon ses expériences, elle estime que Donald Trump est tout ce que l’armée américaine devrait mépriser: « Il a fui les services militaires, son caractère est marqué par l’immoralité. Il est paresseux, il est gros, il est inculte, et pendant des décennies, il a été la star des tabloïdes et des émissions de téléréalité », écrit l’auteur.
Pendant sa campagne électorale en 2016, Trump avait dit: « Je connais Daech mieux que les généraux. Les généraux ne savent plus rien. Ils sont si nuls que leur présence devient embarrassante pour notre pays. » Il a même laissé entendre implicitement qu’en tant que président, il les mettrait tous à la porte.
Patricia Ravalgi ajoute: « En temps normal, cela aurait porté un coup sévère à toute campagne électorale et aurait privé le candidat du soutien de l’armée. Mais finalement, cela est devenu l’un des points forts de sa campagne. »
L’auteur estime que même avant sa victoire à l’élection présidentielle, Donald Trump a réussi à faire peur aux généraux de l’armée américaine, de sorte que pour ne pas perdre leurs postes, ils ont décidé de lui obéir et de le soutenir.
L’auteur écrit: « Aujourd’hui au CENTCOM, vous pouvez entendre les hauts généraux de l’armée répéter les théories de complot d’extrême droite: Hillary a assassiné beaucoup de gens. Obama était un musulman noir du Kenya. Le FBI et la CIA sont corrompus. Les médias diffusent de fausses informations,… »
Les hauts commandants de l’armée américaine semblent avoir accepté l’idée de Trump selon laquelle « l’État profonde » et les « faux médias » préparaient un coup d’État contre lui.
L’auteur souligne qu’au CENTCOM, elle a entendu elle-même dans les conversations des analystes militaires des remarques négatives à propos des alliés militaires des États-Unis au sein de l’OTAN comme les Canadiens, les Britanniques, les Français et les Allemands et contre l’OTAN en général.
Cependant, des officiers qui reviennent des pays arabes du sud du golfe Persique racontent qu’après le départ d’Obama et la défaite électorale de Hillary Clinton, les dirigeants arabes sont heureux et disent qu’il y a « un nouveau shérif dans la ville ».
« Les pays arabes du golfe Persique n’en croient pas leurs yeux. Plus personne ne les dérange sur la question des droits de l’Homme et ils obtiennent l’assistance militaire des États-Unis sans aucune condition. Et s’ils jouaient bien leurs cartes, ils pourraient même convaincre Trump à attaquer militairement l’Iran », écrit-elle.
Quant à l’Iran, les analystes du CENTCOM considèrent que le Plan global d’action conjoint (PGAC) a empêché l’armée américaine de donner à l’Iran la leçon qu’il méritait.
« Pendant la guerre froide, les analystes du renseignement avaient passé toute leur carrière à planifier une guerre contre l’Union soviétique, guerre qui, heureusement, n’est jamais arrivée. De nombreux membres du personnel du CENTCOM travaillent de la même façon sur une guerre contre l’Iran. Les analystes militaires ont compris qu’une guerre contre l’Iran n’est pas une bonne idée, mais les hauts commandants du CENTCOM estiment que la décision de Trump de se retirer du PGAC n’était rien de moins qu'un acte héroïque. »
En conclusion, Patricia Ravalgi écrit: « Le fossé qui s’est creusé entre le monde civil et l’armée américaine devient de plus en plus profond. Le Vietnam a créé une énorme fracture culturelle aux États-Unis que Richard Nixon a exploitée avec succès pour obtenir une victoire électorale. Pour les élections présidentielles de 2020, Trump veut réaliser ce que Nixon n’a finalement pas pu faire. Jusqu’à présent, il a évité toute responsabilité devant le Congrès. Il a réussi à brouiller les frontières entre le mensonge et la vérité dans l’esprit du public américain. Il a sapé les institutions qui ont assuré la sécurité des États-Unis depuis la Deuxième Guerre mondiale. »