Ce qui se passe en Libye a surpris plus d'un analyste anti-système. Alors que ces derniers poussaient un ouf de soulagement en voyant amorcer la transition pacifique en Algérie où l'Armée nationale et le président sortant ont décidé d'un commun accord d'éviter le bain de sang et de déclencher, comme le souhaite le peuple algérien, le processus de transition politique, le général Haftar, connu pour sa volatilité a lancé une offensive contre Tripoli, désireux sans doute d'avoir le beurre et l'argent du beurre. Depuis des mois le général contrôle les principaux champs pétroliers du pays et il lui faut désormais les terminaux d'exportation.
À quelques jours du sommet de la Ligue arabe, le maréchal Khalifa Haftar, chef de l’Armée nationale libyenne, a été convoqué, à la demande des autorités américaines, à Riyad pour rencontrer le roi saoudien Salmane ben Abdelaziz Al-Saoud, dans la journée du 27 mars au palais Al-Yamamah. Lors d’une rencontre séparée, le prince héritier Mohammed ben Salmane accompagné du chef des services de renseignement saoudien a discuté avec le maréchal Haftar lui donnant le feu vert pour lancer l'offensive. Un jour avant le sommet de la Ligue arabe, le maréchal Haftar a prononcé un discours à Benghazi lors duquel il a annoncé la formation prochaine d’un gouvernement unifié en Libye. Mais il a fallu cinq jours pour que les forces à la solde de Haftar se dirigent vers l’ouest de la Libye et plus précisément la capitale.
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Certains analystes schématisent de façon peut-être un peu réductrice la situation en Libye en affirmant que l’Arabie des Salmane tout comme les Emirats de Ben Zayed sont inquiets de voir émerger en Algérie un pouvoir proche des Frères musulmans ( Serajj en fait partie et il est donc pro-Qatar et pro-Turquie, NDLR) d'où le recours à la force pour s'emparer de Tripoli et y placer leur pion Haftar. l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis ont toujours peur d'un effet de contagion. Il est vrai que le pouvoir du maréchal Haftar provient de l’étranger ; et c’est à l’appui de ces puissances étrangères qu’il a pu entrer en action. Les avions de combat émiratis et égyptiens ont à titre d'exemple bombardé la plupart des bases des rivaux de Haftar, lui permettant de prendre le contrôle des sites pétroliers.
Riyad et Abou Dhabi et Le Caire tentent, selon cette lecture, de faire accéder aux trônes « un autre Abdelfattah al-Sissi» en Libye, puisque le maréchal Haftar ne dispose pas, à lui seul, assez d’argent et d’armes pour mener à bien une telle opération à grande échelle. Mais croire que Riyad et Abou Dhabi voire Le Caire auraient agi seuls et sans coordination préalable, serait peut-être trop simpliste. La France qui appelle au dialogue aurait appuyé ce coup de force dans l'espoir de pouvoir contrer l'Italie qui veut chasser Total des gisements pétroliers libyens. Mais il y a aussi la Russie qui assiste, inquiète, aux évolutions en cours appelant le trio saoudo-émirato-française à agir sur les milices locales et à éviter l'escalade.
"En 2017, la Russie a invité le maréchal Haftar à bord du Kouznetsov, le porte-avions russe. Gazprom et Taftneft négocient avec la NOC (Société du pétrole libyenne) pour reprendre leurs activités interrompues en 2011. Quant à Rosneft, elle a déjà trouvé un accord pour investir dans le pétrole libyen.
« La Russie a pour politique d’acheter le plus possible d’hydrocarbures auprès de pays proches de l’UE. Cela permet de mieux contrôler l’acheteur européen et d’exporter davantage vers l’Asie, sans céder sa position d’exportateur clé vers l’Europe. Que le pétrole libyen sort de tout contrôle, cela n'est pas forcément une bonne nouvelle pour Moscou, explique un expert de la question. « La carte que viennent de jouer les Américains par Riyad interposé, bouscule un peu les calcules. Les Russes n'ont jamais souhaité placer tous leurs œufs dans le panier de Haftar mais il y une chose qui les préoccupe, saif al-Islam. Moscou ont cru jusqu'ici pouvoir faire confiance à Seif el-Islam Kadhafi. Lev Dengov, le « Monsieur Libye » du Kremlin, proche du président tchétchène Ramzan Kadyrov, n'a cessé d'assurer être en contact constant avec le fils de l’ex-« Guide ». Ce dernier qui nourrit des ambitions présidentielles, a même sollicité le soutien de Vladimir Poutine. Or les sources libyennes affirment que les tribues pro-Kadhafi soutiennent effectivement l'offensive de Haftar. Alors de deux choses une: ou bien Kadhafi a tourné le dos à la Russie choisissant de faire alliance avec les ennemis de son père ou bien on va droit vers un partage de pouvoir entre Haftar et Kadhafi. Dans les deux Moscou ne peut ne pas être inquiet, ajoute cette même source.