Selon l’éditorialiste de Rai al-Youm, Abdel Bari Atwan, le processus a déjà commencé en Arabie saoudite pour trouver un remplaçant à Mohammed ben Salmane en tant que prince héritier.
Selon Atwan, les nouvelles évolutions du dossier de la disparition, puis du meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi seront à l’origine d’événements qui vont complètement changer le visage du Moyen-Orient.
Atwan estime que depuis la disparition de Khashoggi, le 2 octobre, la justice, la police et la presse turques agissent de manière intelligente pour garder cette affaire au centre de l’attention dans la région et dans le monde. L’éditorialiste de Rai al-Youm insiste pour dire que les informations de l’enquête sont divulguées de sorte qu’il y ait régulièrement quelque chose de nouveau à apprendre dans l’affaire de Jamal Khashoggi.
Abdel Bari Atwan insiste ensuite sur le mécontentement de l’opinion publique aux États-Unis : « Les Américains se demandent comment notre pays et notre président peuvent soutenir un crime commis par le régime de l’Arabie saoudite, en le justifiant simplement par l’importance des relations commerciales avec Riyad et des milliards de dollars qu’ils entendent tirer de la “vache à lait saoudienne” (selon l’expression de Donald Trump pendant sa campagne électorale il y deux ans). »
Atwan rappelle aussi la colère de plusieurs membres influents du Sénat et de la Chambre des représentants des États-Unis, mécontents de voir l’administration Trump donner la priorité à la vente d’armements à l’Arabie saoudite au lieu de défendre des principes comme ceux des droits de l’homme ou de la liberté d’expression.
Abdel Bari Atwan insiste aussi sur l’acharnement des médias américains qui soulignent la nécessité de jeter toute la lumière sur l’affaire Khashoggi et de punir l’Arabie saoudite. Atwan donne l’exemple du journal Washington Post qui a installé une équipe spéciale à Istanbul pour se concentrer sur l’affaire Khashoggi et collecter tous les ingrédients nécessaires pour faire tomber Mohammed ben Salmane de son piédestal en Arabie saoudite.
« Je tiens à rappeler que les investigations de deux journalistes du quotidien Washington Post étaient à l’origine des révélations du Watergate qui ont obligé l’ancien président des États-Unis Richard Nixon de démissionner », écrit Abdel Bari Atwan, qui souligne que Bob Woodward, l’un des deux journalistes du Watergate, vient de publier en septembre son dernier livre Fear : Trump in the White House (« Peur : Trump à la Maison-Blanche »).
Les mêmes pressions pèsent sur le régime saoudien et son prince héritier Mohammed ben Salmane. Atwan estime qu’il serait presque impossible pour ce dernier de trouver un bouc émissaire et de se blanchir. Évoquant la nature autoritaire du gouvernement saoudien, l’éditorialiste de Rai al-Youm écrit : « Comment peut-on imaginer que quinze agents “incontrôlables” (comme a dit le président Trump) du royaume se rendent à Istanbul et qu’ils assassinent un citoyen saoudien au sein même de leur consulat sans l’autorisation du plus haut sommet du pouvoir, c’est-à-dire le roi ou son omnipotent prince héritier ? Certains disent que cet élément “incontrôlable” serait le chef adjoint du renseignement saoudien, Ahmed al-Assiri. Mais je vous dis franchement qu’il m’est très difficile de le croire, quand il s’agit d’un pays comme l’Arabie saoudite. »
Atwan souligne que les dirigeants saoudiens ne supportent pas que les pays occidentaux essaient d’exercer des pressions sur le royaume. En effet, l’affaire du journaliste Jamal Khashoggi a terni l’image de l’Arabie saoudite auprès des milieux d’affaires occidentaux qui ont décidé massivement de boycotter la conférence FII (Future Investment Initiative) qui doit avoir lieu en octobre à Riyad. Pire encore, les entreprises et les institutions financières ne sont pas les seules à prendre une telle décision, car presque tous les ministres de l’Économie et des Finances des pays occidentaux ont annoncé qu’ils n’iront pas à ce « Davos du désert ». Ce sera un coup dur pour l’image de réformateur et de modernisateur que le jeune prince héritier saoudien souhaite présenter de lui-même.
Dans une autre partie de son article, l’éditorialiste de Rai al-Youm dit croire que le processus a déjà commencé en Arabie saoudite pour trouver un substitut au prince héritier. Il cite un article du quotidien The Times selon lequel le renseignement britannique aurait été informé de la possibilité du limogeage par le roi d’Arabie de son fils Mohammed ben Salmane de son poste de prince héritier pour le remplacer par son frère cadet Khaled ben Salmane (30 ans), ambassadeur d’Arabie saoudite aux États-Unis, qui se trouve à Riyad depuis le début de l’affaire Khashoggi.
On cite les noms de deux autres princes qui seraient éventuellement nommé prince héritier à la place de MBS : le premier est Ahmad ben Abdelaziz, 76 ans, un beau-frère du roi, qui occupait pendant quelques mois le poste de ministre de l’Intérieur en 2012. Certains milieux considèrent que sa nomination en tant que prince héritier serait une solution médiane pour réunifier la famille royale saoudienne très divisée en raison du monopole que le clan du roi Salmane (les Soudayris) veut imposer aux autres.
Et enfin, le troisième candidat serait Mohammed ben Nayef, 59 ans, un neveu du roi Salmane, lui aussi membre du clan des Soudayris. Mohammed ben Nayef avait été nommé ministre de l’Intérieur en 2012 et après l’intronisation du roi Salmane en 2015, il a été nommé prince héritier et vice-Premier ministre de l’Arabie saoudite. Mais en juin 2017, il a été démis de toutes ses fonctions par le roi qui l’a évincé de la succession au profit de son propre fil, Mohammed ben Salmane.
D’après Abdel Bari Atwan, le maintien de Mohammed ben Salmane à son poste de prince héritier pourrait coûter très cher au royaume. « Qu’arrivera-t-il si l’administration Trump décide de bloquer près de deux trillions de dollars de dépôts et d’investissements saoudiens aux États-Unis ? », écrit l’éditorialiste de Rai al-Youm. Atwan pose la même question sous un autre angle : « Qu’arrivera-t-il si la justice américaine frappe l’Arabie saoudite par la loi JASTA (portant sur la poursuite judiciaire des États étrangers qui sponsorisent le terrorisme) ? N’oublions pas que quinze des dix-neuf terroristes du 11 septembre 2001 étaient de nationalité saoudienne. Les indemnités s’élèveront à une somme vertigineuse qui oscille entre 3 et 5 trillions de dollars. »