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Comment Tillerson avait-il déjoué le plan saoudo-émirati contre le Qatar en 2017 ?

US Rep. Ilhan Omar (D-MN) (L) talks with Speaker of the House Nancy Pelosi (D-CA) during a rally with fellow Democrats before voting on H.R. 1, or the People Act, on the East Steps of the US Capitol on March 08, 2019 in Washington, DC. (AFP photo)
L’ancien secrétaire d’État américain, Rex Tillerson, et le ministre saoudien des Affaires étrangères, Adel al-Joubeir à Riyad, le 22 octobre 2018. ©AFP

L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis avaient prévu une intervention militaire au Qatar à l’été 2017. Les efforts de Rex Tillerson pour l’empêcher lui ont coûté son poste.

Le site d’analyse The Intercept a publié ce mercredi un article signé Alex Emmons sur la décision de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis pour occuper militairement le Qatar à l’été 2017.

Le 13 mars 2018, le président des États-Unis Donald Trump a annoncé le remplacement de Rex Tillerson à la tête du département d’État par le directeur de la CIA, Mike Pompeo. L’ancien secrétaire d’État Rex Tillerson a appris la nouvelle par le compte Twitter du président. Il avait certainement fait une chose que le président Trump n’appréciait pas. Après une conversation téléphonique avec son homologue britannique, Tillerson avait pointé du doigt la Russie pour l’empoisonnement d’un agent en Grande-Bretagne. La secrétaire de presse de la Maison-Blanche, Sarah Sanders, avait qualifié les propos de Tillerson d’imprudents et d’irresponsables, mais elle n’a pas blâmé la Russie, conduisant ainsi de nombreux médias à spéculer que Tillerson avait été renvoyé pour avoir critiqué la Russie.

Mais dans les mois qui ont suivi le départ de Tillerson, les rapports de presse suggéraient fortement que les pays qui faisaient le plus pression pour l’expulsion de Tillerson étaient l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, frustrés par les tentatives de Tillerson pour mettre fin au blocus du Qatar. Un article du New York Times avait même suggéré que l’ambassadeur des Émirats arabes unis à Washington savait que Tillerson serait expulsé trois mois avant son éviction en mars 2018.

L’auteur de l’article dit que The Intercept a découvert qu’un épisode, qui n’avait jamais été rapporté auparavant, avait attisé la colère des dirigeants émiratis et saoudiens contre Rex Tillerson :

À l’été 2017, Rex Tillerson est intervenu pour arrêter un plan secret dirigé par les Saoudiens et soutenu par les Émirats arabes unis pour envahir militairement le Qatar. The Intercept dit qu’un membre actuel des services de renseignement américains et deux anciens fonctionnaires du département d’État confirment cette affaire sous couvert d’anonymat.

Lors de conversations téléphoniques séparées, Rex Tillerson qui a longuement travaillé avec le gouvernement qatari en tant que PDG d’Exxon Mobil, a exhorté le roi Salmane d’Arabie, son prince héritier en second Mohammed ben Salmane et le ministre saoudien des Affaires étrangères Adel al-Joubeir à ne pas attaquer le Qatar et à ne pas intensifier les hostilités contre Doha, ont révélé ces sources.

Tillerson a également encouragé le secrétaire à la Défense James Mattis à appeler son homologue saoudien pour expliquer les dangers d’une telle intervention militaire au Qatar, en leur rappelant que la base aérienne d’al-Udeid près de Doha, la capitale du Qatar, était le quartier général du commandement central US dans la région et abritait quelque 10 000 soldats américains.

La pression exercée par Tillerson a fait reculer Mohammed ben Salmane. Ce dernier craignait que l’invasion du Qatar ne nuise aux relations de l’Arabie saoudite avec les États-Unis. Mais l’intervention de Tillerson a mis particulièrement en colère Mohammed ben Zayed, le prince héritier d’Abu Dhabi, selon les sources du site The Intercept et une source proche de la famille royale émiratie qui a requis l’anonymat.

Plus tard en juin 2017, Mohammed ben Salmane a été nommé par son père prince héritier numéro un. Son ascension était synonyme d’une influence croissante dans les affaires du royaume saoudien.

C’est au début de l’été 2017 que des agents du renseignement qatari travaillant en Arabie saoudite ont découvert le plan d’invasion saoudo-émiratie. Ils en ont vite informé Tillerson par l’intermédiaire de l’ambassade des États-Unis à Doha. Quelques mois plus tard, des services de renseignement américains et britanniques ont confirmé l’existence effective du plan saoudo-émirati.

Ce plan, qui avait été conçu par les princes héritiers saoudien et émirati, devait être mis à exécution quelques semaines plus tard. Il impliquait des troupes terrestres saoudiennes traversant la frontière vers Doha, pour envahir la capitale du Qatar, en contournant la base aérienne des États-Unis.

À cette période, Heather Nauert, porte-parole du département d’État, a déclaré que Tillerson avait eu « plus de 20 conversations téléphoniques et rencontres avec les dirigeants des pays arabes du sud du golfe Persique », dont trois conversations téléphoniques et deux rencontres avec le ministre saoudien des Affaires étrangères Adel al-Joubeir.

Dans le même temps, à la demande de Rex Tillerson, le secrétaire à la Défense, James Mattis, est intervenu pour convaincre les dirigeants saoudiens et émiratis de ne pas envahir militairement le Qatar.

Selon The Intercept, le plan d’invasion du Qatar soulève des questions sur les tendances interventionnistes de ces deux proches alliés des États-Unis, qui sont les plus gros clients d’armements et d’équipements militaires dans le monde.

Ces dernières années, les deux pays ont manifesté leur volonté d’utiliser la force militaire pour changer la donne géopolitique dans la région du golfe Persique (à Bahreïn) ainsi qu’au Yémen.

En dépit des tentatives de Tillerson pour empêcher l’intervention militaire saoudo-émiratie contre le Qatar, le président des États-Unis Donald Trump a donné son approbation au blocus imposé au Qatar par quatre pays arabes (Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Bahreïn et Égypte). Tandis que Rex Tillerson appelait ces quatre pays à lever le blocus, Donald Trump a déclaré aux journalistes que « la nation qatarie a toujours été un bailleur de fonds du terrorisme à un très haut niveau ».

Rex Tillerson était déçu de l’attitude de la Maison-Blanche, et ses assistants allaient jusqu’à soupçonner que la phrase de Trump ait été écrite par l’ambassadeur des Émirats arabes unis à Washington, Yousef al-Otayba, qui entretenait des contacts réguliers avec Jared Kushner, le gendre du président Trump. À l’époque, Jared Kushner se chargeait en personne d’une grande partie de la diplomatie de l’administration Trump avec les États arabes du sud du golfe Persique.

Certains observateurs disent que ce qui incitait l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis à préparer l’invasion du Qatar était une convoitise financière. Le système économique de l’Arabie saoudite, qui permet à la famille Saoud d’acheter le calme social, repose sur le prix élevé du pétrole. Les cours du pétrole ont chuté en 2014. Depuis que le roi Salmane est arrivé au pouvoir, son pays a dépensé plus d’un tiers de ses réserves, qui étaient de 737 milliards de dollars. En 2017, l’économie saoudienne est entrée dans une douloureuse récession.

Bruce Riedel, chercheur à la Brookings Institution et ancien fonctionnaire de la CIA pendant 30 ans, a déclaré lors d’une conférence en novembre 2017 : « Au cours des trois années qui ont suivi l’accession au pouvoir du roi Salmane, un tiers des réserves de l’Arabie saoudite a déjà été dépensé. Vous n’avez pas besoin d’une maîtrise de Wharton School [Université de Pennsylvanie] pour comprendre ce que cela signifiera dans six ans. »

Si les Saoudiens avaient réussi à s’emparer du Qatar, ils auraient potentiellement pu avoir accès au fonds souverain du pays, d’une valeur de 320 milliards de dollars. En novembre 2017, quelques mois après l’effondrement du plan d’invasion, le prince héritier saoudien a fait arrêter et détenir des dizaines de ses cousins dans le Ritz-Carlton de Riyad, les forçant à signer le transfert à l’État des milliards de dollars de leurs avoirs privés.

Selon The Intercept, à l’automne 2017, les princes héritiers saoudien et émirati ont commencé à faire pression sur la Maison-Blanche pour le renvoi de Rex Tillerson de son poste de secrétaire d’État. Une source a déclaré sous couvert d’anonymat que la partie saoudo-émiratie et l’administration Trump avaient choisi une date significative pour le départ de Tillerson : une semaine avant la visite très médiatisée de Mohammad ben Salmane à Washington. Au cours de cette visite, le prince héritier saoudien devait discuter avec Donald Trump de la crise du Qatar et des futures ventes d’armes.

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SOURCE: FRENCH PRESS TV