La réaction mitigée des Arabes, et pis encore leur feu vert implicite au transfert de l’ambassade des États-Unis à Qods et leur indifférence envers le massacre du peuple palestinien dans la bande de Gaza, trahissent que les pays arabes, notamment l’Égypte, la Jordanie et la plupart des émirats arabes du golfe Persique, ont eu vent du futur plan de Washington.
Le célèbre analyste arabe et rédacteur en chef du quotidien Rai al-Youm, Abdel Bari Atwan, s’est penché, le dimanche 20 mai, sur les derniers développements du Moyen-Orient, notamment « l’accord du siècle ».
« La coïncidence du transfert de l’ambassade des États-Unis à Qods afin de faire reconnaître cette ville en tant que capitale d’Israël avec le 70e anniversaire de l’occupation de la Palestine par le régime israélien n’est pas fortuite. Elle vise en effet à rendre le terrain propice à l’entrée en vigueur de l’accord du siècle et à faire totalement oublier la cause palestinienne, à condition que tout se passe dans le cadre des plans de Donald Trump. En réalité, le transfert prématuré de l’ambassade américaine à Qods pour qu’il coïncide avec le 70e anniversaire de la formation du régime illégitime israélien constituait un ballon d’essai pour réorienter la politique américaine conformément aux réactions des pays arabes, voire d’autres pays sur l’échelle internationale. C’est déplorable, mais toutes les réactions se sont surtout bornées à la bande de Gaza, théâtre de manifestations d’envergure, pendant six semaines, qui ont fait une centaine de morts et des milliers de blessés. »
Abdel Bari Atwan s’est ensuite référé à un article d’Associated Press, publié le samedi 19 mai, qui avait cité cinq responsables américains, sous le couvert de l’anonymat, faisant part de la décision de Donald Trump de révéler les détails de l’accord du siècle, à l’issue du mois de ramadan, un accord élaboré par Jared Kushner, gendre de Trump, et Jason Greenblatt, émissaire spécial des États-Unis au Moyen-Orient, sous la supervision directe du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu.
« La réaction mitigée des Arabes, pis encore leur feu vert implicite au transfert de l’ambassade des États-Unis à Qods et leur indifférence envers le massacre du peuple palestinien dans la bande de Gaza, trahissent que les pays arabes, notamment l’Égypte, la Jordanie et la plupart des émirats arabes du golfe Persique, ont eu vent du futur plan de Washington. Le sommet extraordinaire de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) sur la situation à Gaza n’a pas été convoqué par les pays arabes, mais par le président turc Recep Tayyip Erdogan, d’autant plus que les pays arabes, à l’exception de la Jordanie et du Qatar, n’y ont pas été représentés par leurs dirigeants de haut rang.
De plus, l’Égypte et la Jordanie, ayant des relations diplomatiques avec Israël, n’ont pas osé convoquer ou expulser les ambassadeurs israéliens en poste dans leurs capitales, comme l’ont fait la Turquie, la Bolivie, l’Afrique du Sud, l’Irlande et la Belgique. Toutes ces mesures mitigées laissent présager les événements choquants et inattendus qui pourraient avoir lieu dans les mois à venir. »
Le rédacteur en chef de Rai al-Youm a ensuite rappelé la visite du chef du Hamas Ismaïl Haniyeh au Caire à l’invitation du président égyptien Abdel Fattah al-Sissi et à la demande des Américains.
« Abdel Fattah al-Sissi a consacré un jet privé à Ismaïl Haniyeh et la délégation qui l’accompagnait. Il a discuté avec eux de la fin de la Marche du grand retour, d’autant plus qu’al-Sissi a proposé à Haniyeh un plan de cessez-le-feu de dix ans. Dans le même temps, certains responsables du Hamas ont laissé fuir des informations selon lesquelles un accord serait attendu pour briser le blocus de la bande de Gaza. En effet, les États-Unis et leurs alliés arabes en Égypte et en Jordanie ainsi que dans les émirats arabes du golfe Persique tendent à la fois le bâton et la carotte aux Palestiniens en les menaçant, d’une part, d’arrêter leurs aides financières et d’intensifier le blocus de Gaza et en leur promettant, de l’autre, de submerger la Cisjordanie et la bande de Gaza par les pétrodollars arabes et les devises occidentales s’ils renoncent à leur souveraineté sur Qods et à leur droit au rapatriement et qu’ils se soumettent à l’accord du siècle. La décision inattendue et sans précédent du président égyptien de rouvrir le point de passage de Rafah durant le mois de ramadan ne peut se justifier que par sa volonté de signer un accord avec le Hamas et d’apaiser les mouvements de protestation à Gaza. Les habitants de Gaza ont été les seuls à descendre dans la rue, à l’appel des dirigeants du Hamas, afin d’exprimer leur colère contre la décision de Donald Trump. Ils ont été les seuls à troubler la cérémonie du transfert de l’ambassade des États-Unis et à exposer le visage honni et terroriste du régime israélien. Les dirigeants du Hamas pourraient tourner le dos aux “carottes” américaines qui leur sont offertes sur un plateau arabe. Tout est possible. Il ne faut pas oublier les voix de protestation qui se sont déjà élevées au sein du Hamas face au plan américain. »
Concernant la teneur de l’accord du siècle, Abdel Bari Atwan a réaffirmé que l’accord prévoyait l’agrandissement de la bande de Gaza en y annexant 720 kilomètres des terres de la péninsule du Sinaï le long de la côte, dont les villes d’el-Arich et de Sheikh Zuweid, et la construction d’un port et d’un aéroport. L’Égypte acquerra, en retour, une partie des territoires occupés palestiniens au Néguev.
« De plus, la ville futuriste de Neom naîtra dans le nord-ouest de l’Arabie Saoudite, à proximité de la frontière avec la Jordanie et l’Égypte, pour un coût de 500 milliards de dollars. Le projet Neom devrait diminuer le taux de chômage et injecter indirectement des investissements dans l’économie égyptienne. Dans cette affaire, la Cisjordanie ne gagnera rien d’autre qu’une stabilité économique et un certain accroissement de son autonomie », a indiqué M. Atwan.
L’analyste s’attarde ensuite sur le « bâton » américain, qui sera le gel des aides financières destinées à l’Autorité autonome palestinienne en cas de refus de coopérer avec les Américains concernant l’accord du siècle.
« Il est à noter que l’administration américaine a déjà bloqué 200 millions de dollars de ses aides destinées à l’Autorité autonome palestinienne. Idem pour l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés palestiniens au Proche-Orient (UNRWA) qui a gelé 65 millions de dollars. S’inscrit dans ce cadre la décision de tous les émirats arabes du golfe Persique de suspendre leurs aides consacrées à la Jordanie. Cette décision a pour objectif de mettre sous pression le gouvernement jordanien ainsi que les Palestiniens qui habitent en Jordanie pour qu’ils se soumettent à l’accord du siècle. C’est eux qui devront en subir les conséquences en cas du refus de l’accord. Dans la foulée, la Jordanie a déjà commencé à être marginalisée. »
Pour Abdel Bari Atwan, « on tente de baliser le terrain à l’entrée en vigueur de l’accord du siècle par des campagnes d’intoxication qui ont été déjà lancées contre les Palestiniens dans certains émirats arabes du golfe Persique, notamment en Arabie saoudite. Dans la foulée, une armée cybernétique et un important nombre d’écrivains arabes, proches des gouvernements en place, ont été mobilisés pour suggérer à l’opinion publique que les Palestiniens auraient vendu leurs territoires aux Israéliens. Cette vaste campagne s’ajoute aux tentatives quasi secrètes des États arabes de normaliser leurs relations avec Israël. Cela trahit le rôle majeur des pays arabes du golfe Persique dans les tentatives de rendre le terrain propice à l’application de l’accord du siècle. Vient à l’appui de cette affirmation l’arrestation en Arabie saoudite, au cours des deux derniers jours, de cinq militants et de deux militantes qui se battaient contre la normalisation des relations entre Riyad et Tel-Aviv ».
Le célèbre analyste arabe a estimé que le bombardement des positions de l’Iran en Syrie par l’aviation israélienne et l’adoption de nouvelles sanctions contre le secrétaire général du Hezbollah libanais, Seyyed Hassan Nasrallah, et neuf autres responsables de ce mouvement, ainsi que le placement de toutes les branches politiques et militaires du Hezbollah sur la liste des organisations terroristes visaient, tous, à baliser le terrain à l’imposition de l’accord du siècle et à l’exploitation de l’inaction qui règne dans le monde arabo-musulman. « Cela offre aux Américains une occasion historique qui ne se répétera jamais », a-t-il indiqué.
M. Atwan n’a pas exclu qu’Israël accepte bientôt le plan de paix arabe après l’avoir dépouillé de son thème principal, qui est la clarification du sort de Qods occupée, et après avoir éliminé cette ville de toutes les discussions, voire de toutes les équations.
Il a également prévu une multiplication des ballets diplomatiques entre les responsables israéliens et arabes après l’Aïd al-Fitr.
« L’été qui s’approche sera témoin d’une normalisation accrue des relations entre les États arabes et Tel-Aviv, d’autant plus que les détails de cet accord délétère seront bientôt révélés », a-t-il conclu.