Retour à la case départ : le 11 janvier 2018, le « Petit Groupe sur la Syrie » s’est réuni à Washington : l’Américain David Satterfield, haut conseiller de Condoleeza Rice lors de l’invasion de l’Irak en 2003, le Britannique Hugh Cleary, le Français Jérôme Bonnafont, le Jordanien Nwaaf Tell et le Saoudien Jamal Al-Aqeel. À l’ordre du jour ? La partition de la Syrie.
L’information est reprise à partir d’un câble diplomatique daté du 12 janvier 2018, auquel se réfère le journal libanais Al-Akhbar. Les participants, qui se présentent comme des spécialistes du Moyen-Orient, devaient débattre d’un seul sujet : la partition de la Syrie.
Voici de quoi le Petit Groupe américain sur la Syrie a accouché :
Le groupe veut d’abord empêcher toute solution politique à la crise via une double tactique : pérennisation des combats d’une part, consolidation des positions des forces américaines sur la rive orientale de l’Euphrate via une domestication des terroristes de Daech de l’autre. Cette consolidation militaire coûtera aux Américains et à leurs alliés quelque 4 millions de dollars par an. Le trésorier du Petit Groupe, Riyad, en assurera les frais.
Mais l’ONU n’est pas oubliée dans cette nouvelle mise en scène : l’émissaire onusien Staffan de Mistura aura pour mission d’activer le processus politique à Genève, mais à sa façon : faire échec aux efforts russo-irano-turcs à Astana. La Russie a retiré ses forces d’Afrin en échange de garanties sur la présence des groupes armés aux pourparlers de Sotchi ainsi que sur un retour de la province stratégique d’Idlib dans le giron de l’État syrien. Il n’y a plus lieu de respecter ce troc.
Le Petit Groupe évoque donc dans la foulée, la répartition de la Syrie en deux rives est et ouest suivant le trajet du fleuve Euphrate : l’est du fleuve sera aux Américains, l’ouest, aux Russes. Le secrétaire à la Défense, James Mattis, aurait même hasardé cette petite phrase : « Il n’y a aucune place pour Assad dans une Syrie unie », ce qui revient à dire qu’au cas où Assad remporterait les combats, la Syrie devrait être à tout prix démembrée. La frappe américaine du 7 février dernier contre le camp des forces russes du Groupe Wagner, positionnées à Deir ez-Zor, serait d’ailleurs une tentative de « démarquer les frontières ».
Mais il y a aussi une étape politique : les Américains compteraient encore sur Staffan de Mistura pour faire naître au forceps « la nouvelle Syrie », forte des composantes suivantes. Tout d’abord les FDS, créés par le Pentagone et composées de Kurdes, de Turcs et surtout d’Arabes de Syrie. Les FDS devront être invitées à Genève. Viendront ensuite les YPG que les Américains veulent implanter dans les régions pétrolières de Deir ez-Zor dans le Nord-Est syrien. Mais dans leur extrême générosité, Washington et consorts devraient également laisser quelques miettes au président légitime du pays, Bachar al-Assad. Cette perspective ainsi tracée renvoie au fameux plan B auquel a travaillé 4 ans durant l’ex-président américain Barack Obama. Le plan prévoyait en effet la création de trois Syries : une kurde, une sunnite et une alaouite, avec en toile de fond le soutien de Washington à la représentation des FDS à l’ONU. Le Pentagone a d’ailleurs réclamé 550 millions de dollars en 2019 pour former et équiper ses « alliés en Syrie ».
Mais les Américains ont-ils pensé aux Russes ? Pour satisfaire la Russie, le plan du Petit Groupe éliminera dans la résolution 2254 de l’ONU, la clause concernant la formation d’un gouvernement de transition. Assad restera donc, mais on fera tout pour qu’il ne soit pas réélu.
Le Petit Groupe n’oublie pas non plus l’Iran qui « devra quitter la Syrie sans autre forme de procès » et c’est le secrétaire d’État Mike Pompeo qui promet de s’en charger. Le câble reste toutefois bien vague sur les modalités de « l’expulsion » de l’Iran du sol syrien, où il est présent à la demande de l’État légitime.
Et enfin la Turquie, dont l’intervention militaire à Afrin est bien prévue dans le plan du Petit Groupe : par l’entremise d’Ankara, c’est à vrai dire l’OTAN qui a occupé Afrin dans l’objectif bien précis d’encercler Alep et de mettre sous pression Assad, l’Iran et la Russie. La Turquie a aussi pour mission d’arabiser Afrin, d’y déplacer les réfugiés arabes et de faire de cette région une zone « mono-ethnique », un peu à l’image de ce qui s’est fait en ex-Yougoslavie ou en Irak.
Erdogan suit-il le plan édicté par le Petit Groupe ? Quoi qu’il en soit, une chose est sûre : cette énième version du plan B américain ne tient pas compte d’un important facteur : la nation syrienne. Après tout, le couple Obama-Clinton s’est cassé les dents sur cet os, et le couple Trump-Erdogan n’y échappera pas non plus.