Le quotidien Asia Times estime que les relations amicales entre la Turquie, l’Iran et le Qatar ont neutralisé « l’OTAN arabe » dirigée par l’Arabie saoudite.
Dans un article publié par Asia Times à Hong Kong, M.K. Bhadrakumar affirme :
« Les politiciens du Moyen-Orient ont récemment été témoins de deux événements opposés. Lundi à Riyad, une réunion des ministres des Affaires étrangères de la Coalition islamique contre le terrorisme s’est tenue et la veille à Téhéran, un accord de “commerce” tripartite entre l’Iran, la Turquie et le Qatar a été signé.
Même si la réunion de Riyad a été plus médiatisée, c’est à l’assise de Téhéran qu’il faut prêter le plus d’attention en réalité.
Cette nouvelle alliance militaire, surnommée “l’OTAN arabe”, n’est ni tout à fait arabe, ni vraiment une union. Son principal cadre a été défini par le Pakistan, mais il faut dire que les Pakistanais ont plutôt une orientation raciale proche des Indiens du Nord.
L’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) s’est quant à elle fondée sur une ligne idéologique et géopolitique et elle a été influente sur la stratégie de défense de l’Occident contre l’ex-Union soviétique et la Russie actuelle. Or, cette coalition antiterroriste militaire dirigée par Riyad fait peur… L’Arabie saoudite elle-même a été historiquement une usine à terroristes, et la tourmente actuelle du pays est que les oiseaux retournent à Nasiriyah [en Arabie saoudite].
L’Arabie saoudite est soumise à de fortes pressions. Ses réserves de change s’épuisent rapidement, le défi brutal de la succession crée un clivage au sein même de la famille royale. Des signes de colère existent dans les organisations religieuses très conservatrices qui légitiment traditionnellement les dirigeants. Les sociaux-démocrates réclament la “réforme” et la liberté. Il y a une inquiétude croissante dans les provinces riches en pétrole de l’est du pays. Et le sol saoudien est un terreau fertile pour le terrorisme.
En somme, il y a une atmosphère et un environnement externe complexe : la montée en pouvoir des chiites en Irak, le bourbier de la guerre au Yémen, l’échec en Syrie, la perte du Liban au profit du Hezbollah, la montée en puissance de l’Iran au cours de l’ère post-sanctions, l’instabilité du marché du pétrole et le manque de volonté des Américains de soutenir l’Arabie saoudite dans tous ses tourments internes.
L’Arabie saoudite ne fait face à aucune menace d’invasion étrangère. Comment cette alliance militaire antiterroriste des Saoudiens pourrait-elle liquider l’ennemi qui existe à l’intérieur même de ce pays ? Par ailleurs, les pays membres de la coalition sont-ils prêts à se battre contre l’Iran pour assurer la suprématie de l’Arabie saoudite dans le Moyen-Orient musulman ?
En termes simples, l’alliance militaire antiterroriste dirigée par les Saoudiens est la nouvelle forme de la vieille approche consistant à vouloir résoudre les problèmes en dépensant de l’argent. Mais la crise actuelle est une crise structurelle, et cette coalition interprète incorrectement le concept de sécurité. La présence de photographes et de journalistes lundi à Riyad devait rappeler aux Iraniens la célébration de Persépolis de 1971 où étaient commémorés les 2 500 ans de la Perse, alors même que l’ennemi frappait à la porte ! Et au contraire, le contenu de l’accord Iran-Turquie-Qatar qui a été conclu dimanche à Téhéran va certainement affecter la sécurité internationale et régionale, bien que l’événement se soit passé en silence.
L’accord facilite en réalité le transfert de marchandises entre les trois pays.
C’est la tentative la plus ordinaire d’accroître l’efficacité du flux commercial vers le Qatar, qui ne peut plus être utilisé par l’Arabie saoudite. Cette alliance sape la cohérence du Conseil de coopération du golfe Persique, si on se rappelle aussi les liens d’amitié de l’Iran avec Oman et le Koweït.
Le rapprochement de l’Iran avec le Qatar et la Turquie, deux pays sunnites, discréditent les tentatives de Riyad de faire croire à un conflit confessionnel dont l’Iran serait responsable.
Fondamentalement, l’union de la Turquie, de l’Iran et du Qatar réajuste l’équilibre des forces au Moyen-Orient.
Le rapprochement entre l’Iran et le Qatar a eu un impact très important sur les marchés mondiaux de l’énergie. La Russie, l’Iran et le Qatar possèdent environ cinquante pour cent des réserves connues dans le monde. Ces trois pays sont des acteurs majeurs parmi les pays exportateurs de gaz. En outre, l’Iran est un partenaire du Qatar concernant ses gisements de gaz dans le sud du pays et la Russie a également étendu sa présence dans le secteur de l’énergie en Iran.
Depuis les années 2000, le Qatar domine les marchés du condensat de gaz.
Mais avec le lancement de l’installation Yamal (qui devrait être pleinement opérationnelle d’ici 2020), la Russie renforce sa production de gaz naturel liquéfié (GNL), sans oublier que l’Iran projette aussi de devenir un exportateur de GNL.
Le président américain Donald Trump devrait augmenter aussi la production de GNL des États-Unis et l’on peut dire que le marché du GNL est définitivement en ébullition. Par conséquent, cette demi-alliance entre l’Iran, la Russie et le Qatar pourrait faire tomber à l’eau les meilleurs plans d’exportation de gaz des États-Unis.
Et cette situation exacerbe la sensibilité des États-Unis quant à la présence de plus de 6 500 de ses soldats au Qatar. Le Qatar est l’hôte du commandement central des États-Unis dans la base d’al-Adid.
En outre, il y a des tensions croissantes dans les relations entre les États-Unis et la Turquie, laquelle dispose aussi d’une base militaire au Qatar.
Et en septembre, a été ouvert un nouveau et grand port au Qatar, qui sera la porte d’entrée pour le commerce avec l’Iran. Et le Qatar accueille aussi la Coupe du monde 2022 qui se rapproche...
L’Iran espère attirer les investisseurs qataris. Et en somme, d’un point de vue géopolitique, l’Iran acquiert une large profondeur stratégique grâce à cette alliance nouvelle avec le Qatar. »