En un rien de temps, l’Arabie saoudite a subi des changements singuliers. Les réformes portent principalement sur la politique étrangère du royaume. Après le Printemps arabe et l’éviction des grandes puissances arabes du décor, l’Arabie saoudite se retrouve propulsée au faîte du pouvoir dans le monde arabe, avec un lourd fardeau à porter. Mais c’est à l’intérieur du pays que les changements sont encore plus radicaux. Car le transfert du pouvoir à la jeune génération n’est pas chose commune dans une monarchie absolue.
L'éditorialiste du journal iranien Etemaad, a écrit ce dimanche :
« Il est curieux de voir un royaume dirigé depuis un demi-siècle par des septuagénaires et des octogénaires remettre le flambeau à un jeune qui vient à peine de dépasser la trentaine. Mais quand on voit l’application de réformes sociales qui touchent particulièrement les droits de la femme, indicateur clé du passage de la société traditionnelle à la société moderne, nul doute que d’importants événements se passent à l’intérieur de l’Arabie.
Touché de plein fouet par la chute des cours du brut à partir de la mi-2014, l’État saoudien a lancé un plan ambitieux baptisé “Vision 2030” pour redresser son économie. Le défi est énorme et pour le surmonter, des investissements pharaoniques sont nécessaires.
L’Arabie est aujourd’hui présente sur trois principaux fronts : 1) Le front de la politique étrangère qui se traduit par la guerre au Yémen, ses ingérences en Syrie, au Qatar et récemment au Liban, l’objectif étant d’imposer son autorité dans le monde arabe ; 2) Le front de la politique intérieure sur lequel les princes héritiers des Saoud s’invectivent et s’évincent mutuellement ; 3) Le front socio-culturel où les réformateurs se frottent aux cheikhs et aux religieux conservateurs et doivent contourner le fanatisme de la culture dominante. Le combat mené sur un seul front est déjà difficile, alors celui qui doit être mené sur trois fronts distincts est inimaginable.
Mais comment les dirigeants saoudiens vont-ils s’y prendre ? Pour donner une réponse exacte, il faudrait bénéficier d’informations détaillées sur la situation interne et la structure politique de l’Arabie saoudite : informations que l’auteur de la présente ne possède pas. Mais une analyse générale n’est pas exclue.
Mohammed ben Salmane a obtenu les pleins pouvoirs en Arabie. Il supervise les affaires gouvernementales, l’économie et l’un des plus gros budgets militaires au monde. Pour ce faire, il bénéficie du soutien de la jeune génération avide de progrès et de celui des États-Unis, du régime d’Israël et de certains pays arabes. Mais ces soutiens plus ou moins aléatoires seront-ils à la hauteur des ambitions saoudiennes ? L’opposition au plan de réforme du prince héritier est importante, voire profonde.
L’autre interrogation est de savoir ce que cherchent vraiment les Saoudiens. De l’avis de certains observateurs, les Saoudiens appliqueraient un plan commun israélo-américain. D’autres pensent que Mohammad ben Salmane en est le seul maître d’œuvre. Le régime de Tel-Aviv ne supporterait pas de voir une grande puissance émerger du monde arabe, quitte à soutenir un plan qui aboutirait à l’affaiblissement de l’Arabie. Par ailleurs, les États-Unis n’ont essuyé que des échecs au Moyen-Orient. Leurs conquêtes de l’Afghanistan puis de l’Irak n’ont pas eu les résultats escomptés, si ce n’est qu’elles ont entraîné ces deux pays vers le chaos et la destruction.
Si le plan de Mohammed ben Salmane est le fruit d’une réflexion personnelle, son bas âge et son inexpérience dans le milieu politique ne sont pas à son avantage. Ses chances de réussite restent donc insignifiantes. Une envolée personnelle, qui plus est présomptueuse, peut très vite se transformer en pétard mouillé à la première difficulté et faire fuir ceux qui la soutenaient. Les dernières années du règne du Shah d’Iran en sont un modèle concret. À vrai dire, les dirigeants qui décident de faire cavalier seul sont vite délaissés par leurs plus fidèles compagnons. Une telle prise de position favorise l’apparition d’ennemis et ses conséquences sont incertaines. L’Arabie saoudite s’est empêtrée au Yémen, a détérioré ses relations avec le Qatar et se joue du Liban. Une vague d’arrestations inédite frappe le royaume, des princes et des ministres, anciens ou actuels, sont interpellés, ce qui soulève l’inquiétude de tous ses alliés.
Ce qui ressort de cet imbroglio et des politiques expansionnistes de Ben Salmane, c’est que le pays est au bord d’une crise interne. À moins qu’il arrive à neutraliser les éléments perturbateurs à l’intérieur en exagérant le risque que représente l’ennemi étranger.
Or, l’auteur du présent article exhorte le corps diplomatique iranien à ne pas se soucier des initiatives de l’Arabie. Il n’est pas utile de s’engager dans ses conflits. Tôt ou tard, l’heure du repentir sonnera. Mon analyse est plus sociologique que politique. Pour appuyer mon raisonnement, je fais référence à un extrait d’une note que j’avais écrite il y a six mois pour la revue Mehrnameh, sur la chute de Mohamed Morsi en 2013, intitulée “Retour dans la société ou retrait de la politique ?”, afin de montrer qu’une analyse sociologique du pouvoir peut être plus significative qu’une analyse politique : “En observant le résultat du référendum constitutionnel en Égypte, on constate que les Frères musulmans dominent la partie de la société qui, selon les indicateurs du développement, est la plus arriérée du pays. Autrement dit, le gouvernement des Frères musulmans n’est pas en accord avec les secteurs qui sont le moteur du progrès et de la croissance du pays. Soit il deviendra bientôt un frein au développement politique et social, soit il tombera, à moins qu’il décide de s’adapter à la conjoncture actuelle en adoptant des réformes radicales.”
L’Arabie saoudite va donc droit dans le mur. Inutile de s’engager dans la mêlée. Mieux vaut s’en retirer, car un fruit qui arrive à maturité tombe rapidement. »