TV

Syrie/Jordanie: pourquoi Amman a changé de camp?

US Rep. Ilhan Omar (D-MN) (L) talks with Speaker of the House Nancy Pelosi (D-CA) during a rally with fellow Democrats before voting on H.R. 1, or the People Act, on the East Steps of the US Capitol on March 08, 2019 in Washington, DC. (AFP photo)
Le roi Abdellah II de Jordanie et son épouse. ©Reuters

Le secrétaire d'État américain, Rex Tillerson, ne peut prononcer dix mots sans que les termes de "pétrole" et "gaz" n'apparaissent dans son discours. Et la Jordanie compte bien sur ce critère pour tirer son épingle du jeu.

Ce constat est celui des employés de l'ambassade US en Jordanie. Selon Al Quds al Arabi, la Jordanie est sûre que Tillerson est l'une des personnalités clés dans le secteur de l'énergie au sein de l'administration Trump. Le fait qu'un homme comme lui, donné comme un expert du secteur gazier, se trouve à la tête du département d'État signifie que les Américains auront une nouvelle lecture des évolutions en cours en Asie de l'Ouest. 

C'est en ce sens qu'il convient d'interpréter la nouvelle politique jordanienne face à l'armée syrienne: un temps tenté par un certain rapprochement envers la Russie, la Jordanie en est désormais à satisfaire les exigences de Washington.

Son armée, dont le chef du renseignement a été écarté juste à la veille du sommet de la Ligue arabe à Amman, surveille de près les moindres agissements sur les frontières communes avec la Syrie. Amman multiplie d'ailleurs faits et gestes hostiles à l'encontre de l'armée syrienne et son allié, le Hezbollah.

L'élite jordanienne croit avoir fait le bon choix puisque Trump est "un marchand et il sait bien marchander". Cette mentalité mercantile aiderait, disent encore les Jordaniens, Amman à mieux tirer son épingle du jeu syrien. 

Partant de là, l'armée jordanienne tente désormais de renforcer son aura et sa position auprès du Pentagone, peu importe la méthode. Sa participation à la réunion du G7 en Italie à titre d'observateur devrait être comprise en ce sens et on sait que cette réunion était celle où "l'Occident devait décider du sort d'Assad".

Il y a quelque temps, la Première ministre britannique Theresa May s'est rendue en Jordanie pas seulement pour consolider les liens avec le roi, liens historiquement solides, mais surtout pour se rapprocher de "l'armée jordanienne"; d'où sa curieuse visite des frontières syro-jordaniennes.

Depuis 2011, l'armée jordanienne, qui était pourtant proche de l'armée syrienne avant la guerre de 2011, refuse de participer directement aux tentatives de renversement d'Assad. Désormais, cela pourrait ne plus être le cas, au regard des informations qui se succèdent sur un "plan B" américain destiné à lancer une violente offensive US/Israël/Jordanie contre le sud de la Syrie, offensive qui viserait à séparer la région de Deraa, limitrophe du Golan occupé et d'Israël, du reste de la Syrie. 

Riyad fait d'ailleurs feu de tout bois pour accélérer le basculement d'Amman dans le camp anti-syrien: son ministre des Affaires étrangères ne cesse d'assurer Amman que le dernier membre du G7 à refuser encore le renversement d'Assad finira par céder aux pressions de Washington. "L'Allemagne résiste encore mais elle va finir, elle-aussi, par s'adapter à la logique marchande de Trump et par renoncer à soutenir le maintien d'Assad", a dit al-Joubeir à ses amis jordaniens. 

La Jordanie compte surtout sur la perspective très alléchante qu'offre "la reconstruction de la Syrie", tombée en ruine à la faveur de plus de six ans de guerre totale menée par les USA et leurs alliés. Amman sait que les pays européens, tous empêtrés dans la crise économique, voient à travers la Syrie une aubaine pour booster leurs secteurs économiques en mal d'activité.

C'est pour cette raison que la Jordanie a fondé d'ores et déjà un organisme chargé de suivre "le processus de la reconstruction en Syrie". Pour les Jordaniens, Trump a baissé le niveau de la gestion de la crise syrienne à un "projet d'investissement suivant le facteur démographique" et la présence de l'Iran et de l'Irak dans ce dossier ne fait que prévaloir aux yeux du président US l'aspect "démographique du dossier". 

Les parachutistes américains ont débarqué sur l'axe Tabqa-Raqqa dans le nord de la Syrie, armés jusqu'aux dents, alors que pas un seul daechiste ne se trouvait sur les lieux. Les Américains arrivent à Raqqa au centre de la Syrie pour y rester définitivement. Ils auraient même demandé aux pays comme la France, les Pays-Bas et le Japon de se tenir prêts pour participer au "processus de reconstruction syrien".

Ce qui incite Amman à "se réactiver" pour avoir sa part dans ce qui serait selon lui, "une Syrie démembrée à venir". Après tout, la Turquie (selon Amman, NDLR) a eu sa part et dans le Nord, à travers sa fameuse opération Bouclier de l'Euphrate. Quant à Israël, c'est sur le Golan occupé et le Sud syrien que ce dernier se concentre pour renforcer ses assises. 

Au vu de ce qui précède, la Jordanie pense déjà à "l'après Assad". Mais que reste-t-il du "gâteau syrien" pour la Jordanie ? Le sud syrien.

Amman espère pouvoir gagner sa part du gâteau en se rangeant dans le camp israélo-américain. De très longues frontières entre la Jordanie et la Syrie contribuent d'ailleurs à lui faciliter la tâche. La Jordanie serait donc prête à coopérer amplement avec les USA, la Grande-Bretagne et la France pour écarter Assad du pouvoir, morceler le territoire syrien en petites parties et fêter aux côtés des "coupeurs d'État" le partage du butin. Mais c'est sans compter avec ce qui constitue un talon d'Achille pour le pays hachémite: "la présence des terroristes à ses portes".

Avec une forte population d'obédience salafo-wahhabite, la Jordanie est une bombe à retardement: participer à l'implosion de la Syrie revient à encourager les courants extrêmes qui crient "mort au roi" et qui veulent faire de la Jordanie, un conglomérat d'émirats sur le modèle de Raqqa...

Partager Cet Article
SOURCE: FRENCH PRESS TV