Alors que le président du Congrès US vient d'annoncer son feu vert à l'envoi de forces militaires supplémentaires en Syrie sous prétexte de combattre Daech, les analyses se succèdent pour déchiffrer le vrai objectif de Trump et son équipe à travers leur plan pour la Syrie, censé favoriser la formation des "zones sécurisées" dans le nord et le sud du pays.
À Astana, les États-Unis se sont réellement sentis isolés : ce furent l'Iran, la Russie et la Turquie qui ont mené le jeu. L'idée mainte fois tentée de créer des zones sécurisées vient sans doute de là et des inquiétudes que ressentent les États-Unis par rapport à l'avenir de la Syrie.
Mais pourquoi Washington cherche-t-il à mettre en œuvre des zones tampons en Syrie ?
Quasi exclus de la scène syrienne vers la fin du mandat d'Obama, les États-Unis tentent de faire un retour en force dans ce pays qu'ils étaient déterminés à couper en morceaux en prélude à l'émergence de leur "Grand Moyen-Orient". Mais il y a aussi la Turquie qui entre dans la ligne du compte. Les relations Ankara/Washington ont beaucoup souffert du refus obstiné d'Obama d'établir des zones d'exclusion aérienne en Syrie. Cela fait plus de cinq ans que la Turquie renouvelle cette demande et se trouve à chaque fois confrontée à une fin de non-recevoir catégorique des États-Unis.Trump semble vouloir refaire de la Turquie d'Erdogan ce qu'elle n'a jamais cessé d'être à savoir un outil aux services des intérêts américains et de l'OTAN.
Reste un troisième objectif que suit le plan des zones sécurisées et qui concerne très directement les Kurdes. La formation d'une zone tampon dans le nord de la Syrie où seraient installés les Kurdes syriens pourrait endiguer au moins pour un certain temps leurs ardeurs indépendantistes et apaiser les craintes d'Ankara de voir un État kurde émerger sur son flanc sud. Mais est-ce le tout dans l’Histoire ? Rien n'est moins sûr. Le milliardaire Trump qui se targue "d'être direct" dans son discours aussi bien que dans ses actes semble voir plus loin : une zone tampon où se croiseraient tous les jours Kurdes syriens et militaires turcs ne serait par définition qu'un baril de poudre. Les États-Unis comptent bien sur ce talon d'Achille d'Ankara (les Kurdes) pour contrôler les excès souvent incontrôlés de la Turquie qui les a conduits même à se rapprocher de la Russie sans trop se soucier des susceptibilités de Washington. Sur l'échiquier syrien, Trump et ses stratèges veulent donc mettre face à face les deux pions Kurde et Turc. Ce sont en effet ce genre de tensions ethno-confessionnelles qui ont permis de tout temps aux Américains de pêcher dans les eaux troubles et de plus facilement piller les richesses de la région.
Est-ce que les Kurdes et les Turcs ont compris la combine?
Il semblerait que oui mais dans l'état actuel des choses, aussi bien les Forces démocratiques kurdes de Syrie qu'Ankara se trouvent dans l'incapacité de réagir. C'est malgré eux que ces alliés malheureux de Washington sont amenés à jouer le jeu.
Mais Trump donné "ami de Poutine" par les démocrates américains n'a pas peaufiné son plan sans penser à réduire le poids de plus en plus croissant de la Russie sur la scène syrienne. La Russie et l'Iran font de l'ombre à Washington et il est temps que ces " zones sécurisées " émergent pour que Washington puisse, lui aussi, sortir des limbes syriens. Le simple fait d'évoquer l'idée de créer des zones tampons a d'ailleurs fait réagir les Russes et c'est ce que cherchait Trump.
S'il est vrai que Moscou a conditionné la création de ces "zones" à l'aval de Damas, il est aussi vrai que le concept est potentiellement apte à favoriser "les futurs marchandages". D'ailleurs, le ministre russe des AE s'est très clairement exprimé à ce sujet en affirmant que le plan américain valait d'être discuté.
Tout porte à croire qu'avec l'homme d'affaire qu'est Donald Trump, l'heure est désormais aux transactions de nature politique. Le degré du sérieux de l'administration US placée, sous le commandement d'un super businessman, à vouloir imposer ces fameuses zones tampons dépendrait directement des profits que l'Amérique pourrait en tirer.
À côté de tout ceci, les zones tampons suivent un dernier objectif : protéger les mercenaires. Le public américain et l'opinion mondiale se sont laissés certes impressionner par les révélations incendiaires de Trump sur le rôle des Clinton dans la création de Daech. Il n'en reste pas moins vrai que l'homme du système qu'est désormais Trump ne pourrait s'en passer : Daech affaibli pourrait servir de levier de pression à l'administration américaine aussi bien en Irak qu'en Syrie. Donc rien ne s'oppose à ce que les terroristes soient réunis dans des zones sécurisées, et surtout déguisés en "réfugiés" à attendre que leur heure arrive à nouveau.
L'entretien téléphonique qu'a eu Trump avec le roi d'Arabie en dit long sur les vraies intentions du président américain. Des sources bien informées confirment que l'idée de créer des zones sécurisées en Syrie et au Yémen aurait été même évoquée au cours de cet entretien téléphonique avant de faire l'objet d'un "compromis à l'amiable". Après tout, c'est Trump qui avait comparé les monarchies du golfe Persique à des vaches à lait dont il faut profiter avant de décapiter. Or les « vaches à lait » ont très docilement accepté de jouer le jeu et d’offrir leur lait au parfum du pétrole pour faire plaisir aux maîtres de Washington. C'est donc aux frais de Riyad que ces zones sécurisées devraient prendre corps en Syrie. Ceci va permettre aussi un début d'accalmie dans les relations tendues qu'entretenaient tout au long du double mandat d'Obama ces monarchies arabes avec les États-Unis.
Seul hic à ce plan qui est une énième version du "Grand Moyen-Orient" de Bush : le "non" de l'axe de la Résistance. La Syrie, l'Iran et le Hezbollah refusent catégoriquement de servir de catalyseur à un projet à moitié échoué que l'homme aux cheveux roux de la Maison Blanche veut réanimer en rouant de coups son bureau...