Les attentats à l'aéroport international d'Istanbul finiront-ils par pousser la Turquie à changer de camp ? Pourquoi Daech a-t-il décidé de se venger ? Quels sera l'impact de la conversation téléphonique entre Poutine et Erdogan ? L'analyste palestinien Abdel Bari Atwan, rédacteur en chef de Rai al-Youm, nous livre quelques clés de compréhension.
« Les attentats à l'aéroport international Atatürk ont éclipsé cet entretien téléphonique. Poutine a d'ailleurs sévèrement condamné ces attaques et ordonné la levée des sanctions économiques qu'il imposait à la Turquie depuis la destruction par Ankara en novembre 2015 d'un avion de combat russe près des frontières syriennes. Après cet entretien téléphonique, quelque 5 millions de touristes russes retourneront en Russie. Les attentats d'avant-hier ont frappé un aéroport qui accueille chaque année 60 millions de passagers. Il s'agit d'un coup très dur pour le tourisme turc, qui assure des recettes annuelles de 36 milliards de dollars aux caisses de l'État. Selon le Premier ministre turc, le triple attentat de l'aéroport d'Istanbul porte la signature de Daech. Ces attaques ressemblent aux attentats de Paris et Bruxelles, à cette différence près que les attaques d'Istanbul n'ont pas été revendiquées. Ankara fait face à de graves accusations de la part des gouvernements syrien et russe, qui lui reprochent son soutien tous azimuts aux terroristes de Daech, qu'il arme et finance avant de les envoyer combattre Assad. Les attentats d'Istanbul, les troisièmes depuis le début de l'année, constituent en quelque sorte une rupture de la trêve non annoncée entre les deux parties. Pourquoi ?
Ce qui pourrait bien avoir attisé le courroux de Daech à l'encontre d'Erdogan, au point de le faire renoncer à "sa neutralité pro Ankara", a été le refus de la Turquie d'intervenir en Syrie au profit de Daech. Ankara n'a pas non plus pris fait et cause pour Daech en Irak dans la ville de Falloujah, où les Hachd al-Chaabi poursuivent avec succès leurs fulgurantes opérations contre le groupe terroriste. On sait d'ailleurs à quel point les Unités de mobilisation populaire irakiennes ont agi promptement et comment elles ont nettoyé Ramadi, en attendant que le tour de Mossoul ne vienne. Daech voyait en la Turquie la clé de voûte du califat sunnite, soit un pays qui devrait en tout point s'opposer au "projet iranien". Or, Ankara a refusé, du moins en apparence, à jouer ce rôle. Pire, il a même fermé les yeux sur les attaques des Kurdes de Syrie contre Daech à Manbij et Azaz, ou encore sur les frappes russo-syriennes contre les positions de Daech à Alep et Raqqa. Les attentats d'Istanbul pourraient être la vengeance de Daech contre ses alliés sunnites. Une autre hypothèse paraît plausible : en normalisant ses relations avec la Russie, Ankara pourrait avoir définitivement décidé de rallier le camp antiterroriste. Si tel est le cas, cela pourrait bien avoir un impact sensible dans les semaines à venir en Syrie.
Une troisième hypothèse n'est pas à écarter – tant s'en faut, c'est même celle qui semble la plus plausible. En déclin en Syrie et en Irak, Daech est passé à la phase "extraterritoriale" de sa nuisance et compte frapper désormais clandestinement et hors de son territoire traditionnel comme l'avait fait à son époque al-Qaïda. Une chose est sûre : Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères, a affirmé après l'entretien téléphonique entre Poutine et Erdogan la volonté des deux parties de reprendre leur coopération en Syrie. Cette coopération pourrait prendre la forme d'une lutte commune contre Daech ou encore l'abandon par Erdogan de son anti-Assadisme primaire et le retour de la Turquie à une solution politique. La Turquie d'après la double normalisation avec la Russie et Israël sera différente. Les alliances de la Turquie pourraient changer, mais cela ne sera pas sans risque... »