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Entretien avec Murad Bylhan sur la situation au Moyen-Orient

US Rep. Ilhan Omar (D-MN) (L) talks with Speaker of the House Nancy Pelosi (D-CA) during a rally with fellow Democrats before voting on H.R. 1, or the People Act, on the East Steps of the US Capitol on March 08, 2019 in Washington, DC. (AFP photo)
Murad Bylhan, vice-président du Centre des études stratégiques pour la Turquie et l'Asie (TASAM) et ancien ambassadeur de la Turquie dans différents pays. ©mehrnews

Article de Peyman Yazdan publié par l'Agence de presse iranienne Mehr

Préambule:

Depuis le retrait du  Royaume-Uni du Golfe Persique en 1971, la présence militaire des pays d'Europe occidentale dans la région s’est faite avec le temps de plus en plus discrète. Cependant cette présence n'a jamais cessé totalement et a continué d'exister sous une forme ou une autre. Dans les domaines politique et économique, cette présence s'est concrétisée par la création du Conseil commun de l'Europe ainsi que celle du Conseil de coopération du Golfe Persique dans le domaine militaire.

Cela a marqué un nouveau cycle dans les efforts déployés par les pays occidentaux pour maintenir leur présence militaire dans le golfe Persique, mais cette fois sous la couverture de l'Organisation occidentale du Traité Atlantique Nord (OTAN) avec un pacte signé au sommet de l'OTAN à Istanbul  en 2004. Après l'adoption du pacte d'Initiative de coopération d'Istanbul (ICI), les pays membres de l'OTAN ont invité les pays riverains du golfe Persique à y adhérer.

Dans ce plan, l'OTAN a fait part de sa détermination à améliorer la sécurité et la stabilité au Moyen-Orient et également à renforcer ses relations avec les pays de cette partie du monde. Les tentatives faites, depuis quelques jours, par certains pays, dont le Royaume-Uni, la France, la Turquie et le Koweït sont à examiner selon la grille de lecture de la politique expansionniste de l'OTAN. À cet égard, nous avons réalisé une interview avec Murad Bylhan le vice-président du Centre des études stratégiques pour la Turquie et l'Asie (TASAM) et ancien ambassadeur de la Turquie dans différents pays. En voici la version intégrale :

Cher monsieur, la Turquie est en train de construire une base militaire au Qatar et cela alors que l'année dernière on a vu ouvrir une base militaire britannique à Bahreïn et cela après une longue période de retrait de la Bretagne dans la région du golfe Persique. Cela va de même pour  la France qui  vient d'inaugurer une base militaire  à Abu Dhabi.  Et avec la nouvelle sécurité définie par USA, le bruit circule que la sécurité régionale du Moyen-Orient aurait été confié à ses alliés. Qu'en pensez-vous ?

Tout d'abord, je dois dire qu'aucune de ces évolutions ne devrait pas être considérée comme une menace pour les intérêts iraniens. La Turquie a tout simplement ses propres sensibilités sécuritaires, et ces dernières années avec l'augmentation de la violence, la propagation du terrorisme, la crise des réfugiés et la crise énergétique, la Turquie se trouve face à un défit d'envergure. Malgré des tensions entre la Turquie et la Russie ces derniers temps, la Russie demeure toujours un fournisseur d'énergie pour nous,  mais désormais on ne pourra plus compter sur elle comme une source d'approvisionnement fiable ni nous mettre par rapport à elle dans une situation de dépendance qui pourrait nous être fatale. La Turquie se trouve aujourd'hui confrontée à quatre dangers qui la menacent de manière directe et imminente. Cela est une véritable question de sécurité nationale pour  la Turquie.

En ce qui concerne la coopération militaire entre la Turquie et le Qatar, il faut dire que ce n'est pas la première fois que la Turquie coopère militairement avec d'autres pays en dehors de ses frontières. Nos troupes ont déjà été déployées au Liban, en Somalie et en Afghanistan en toute légitimité, et cela dans le plus grand respect des réglementations internationales. Toutefois, par rapport à la récente coopération militaire entre la Turquie et le Qatar, je dois dire que de tels dispositifs ne peuvent s’inscrire dans la longue durée. Il ne fait point doute que la coopération militaire entre la Turquie et le Qatar sera de courte durée car il y a d’importantes différences de superficie entre ces deux pays et ils sont dissemblables à bien des égards. La Turquie est un grand pays à cheval sur deux vastes continents et constitue une république démocratique de premier plan, alors que le Qatar est un pays minuscule dont le régime est une monarchie. Il s’agit donc de deux pays diamétralement différents et très éloignés l'un de l'autre en termes culturels et ethniques. Pour ces raisons, ce type de coopération entre la Turquie et le Qatar ne saurait s’inscrire dans la durée. Ce type de coopération est temporaire et ne peut exister qu’à court terme et en désespoir de cause, en raison des nécessités de l'époque.

Pour ce qui est de la création des bases militaires françaises et britanniques dans la région et dans d’autres parties du monde,  je dois dire que ces problèmes ne sont pas des choses inhabituelles. L'Iran et la Turquie n’ont pas s'inquiéter de tels changements, surtout lorsque l’on considère les évolutions qui avaient suivi le traité de Sykes-Picot.  Ces actions ne représentent aujourd’hui aucune menace pour l'Iran, puisque l'Iran et la Turquie sont désormais considérés comme deux états puissants et suffisamment forts pour résister à ces développements et y faire face. Par rapport à votre hypothèse selon laquelle les Américains ont un plan pour modifier le mécanisme de la sécurité dans la région, je partage votre opinion. Les Etats-Unis, pays membre de l'OTAN, vont au-delà de leurs frontières pour défendre leurs intérêts par ses alliés interposés, mais sans bien entendu mettre en avant leurs propres financements. A mon sens, votre conception des choses est correcte.

La Turquie subit depuis longtemps l'impact de la propagande politique des Américains et l'Iran n'est pas épargné non plus. A mon avis cela dépend largement de la question de savoir qui gouvernera les États-Unis pour les quatre années à venir car il est possible que la désinvolture dont Obama fait preuve au Moyen- Orient laisse place à une autre approche diplomatique dans la région. En ce qui concerne la présence militaire de l'OTAN dans la région, je dois dire que ce problème n'est pas si important. Après la guerre froide la stratégie de l'OTAN a changé et les pays membre du traité ont sous-traité leurs interventions à d’autres pays situés dans d’autres endroits du monde, lesquels ont effectué des interventions militaires en Afghanistan, au Moyen-Orient et en Afrique.

La conception que l’OTAN se fait des menaces qui  visent ses membres n’est plus la conception simple et typique d’autrefois, de type classique et militaire, elle juge que des menaces redoublées et atypiques viennent s'ajouter à ces menaces.  C'est pour cette raison qu'en fonction des expériences acquises, l'OTAN est arrivé à cette conclusion que la meilleure défense est celle qui s’effectue au-delà de ses frontières. Vous comprenez  maintenant pourquoi l'OTAN intervient militairement là où il ya des conflits, que ce soit au Moyen Orient ou ailleurs. Tout cela a entraîné un changement dans la stratégie des États-Unis et nous serons dans le futur les témoins d'une nouvelle stratégie américaine au Moyen-Orient.

Pensez-vous qu’il y a un lien entre les dernières évolutions dans la région et le récent accord entre l’OTAN et le Koweït ?

Les pays membres de l'OTAN vont défendre leurs intérêts au-delà de leurs frontières, et l’on peut donc s’attendre à tout.

Le seul problème qui se pose pour l'OTAN et qui est susceptible de lui lier les mains est celui de sa propre structure organisationnelle, en particulier l’article 5 du traité, selon lequel l’attaque d’un seul des ses membres équivalait à l’attaque de l’ensemble d’entre eux.

Le seul problème de l'OTAN réside donc dans la manière dont il va prendre sa décision. La prise de décision au sein de l'OTAN est une affaire complexe car le plus petit membre de cet organisme peut jouer un rôle déterminant dans ce processus. Les décisions sont prises de façon raisonnable mais très lentement.

Ne pensez-vous pas que la présence militaire de l’OTAN peut augmenter le manque de confiance qui existe dans la région et aider à y complexifier les conditions sécuritaires ?

Mon avis personnel est que les meilleures solutions pour résoudre les problèmes de la région sont les solutions régionales, sans y faire intervenir les puissances extérieures. Je n’ai aucun doute sur ce sujet. Mais fort malheureusement, la réalité est que les pays de la région sont tellement impliqués dans ce conflit que cela entraîne une montée des tensions. Il faut ajouter à cela un second élément. Le golfe Persique est un point d’une importance capitale et fait l’objet de toutes les convoitises de la part des pays du monde entier.

Malheureusement, comment serait-il possible de trouver une issue alors que les pays de la région, comme la Syrie, l’Irak et la Palestine, sont englués dans les conflits. Il n’est pas réaliste d’attendre que ces pays-là parviennent ensemble à une sécurité énergétique. C’est la raison pour laquelle les présences de l’OTAN et des Etats-Unis d’une part, et de la Russie et éventuellement la Chine d’autre part, deviennent inévitables. Les problèmes de la région outrepassent ses frontières. C’est un problème à l’échelle mondiale. Le prix du baril de pétrole peut affecter le monde entier. Ma proposition est donc de nous réunir afin de résoudre nos propres problèmes, mais malheureusement les avis divergent et aucun consensus ne pourra être atteint.

Pensez-vous qu’il puisse y avoir un lien entre le récent accord entre l’OTAN et le Koweït et les provocations d’un certain nombre de pays alliés aux Etats-Unis et à l’OTAN par rapport aux agissements militaires en Syrie ?

Pour moi, une intervention militaire n’est ni faisable ni souhaitable. Cependant, c’est un avis personnel qui n’est pas forcément partagé par les autorités turques. Il convient d’ailleurs de préciser que je n’occupe aucune fonction au sein du gouvernement. Personnellement, une telle opération militaire en Syrie me semble inappropriée et je m’y oppose.

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SOURCE: FRENCH PRESS TV