Robert Maillard, Paris
À Beyrouth, un événement inouï vient de se produire : une bombe GBU-39, l'un des modèles de précision les plus sophistiqués de l'arsenal américain, n’a pas explosé après une frappe israélienne. La bombe GBU-39, qui frappe habituellement sa cible sans rien laisser derrière, est tombée cette fois-ci au sol, parfaitement intacte. La réaction américaine a été inhabituelle : les États-Unis ont exigé que le Liban leur restitue immédiatement la bombe, craignant que la bombe ne soit récupérée, démontée, examinée et puis reproduite par l’Iran, seul pays maître dans la rétro ingénierie militaire.
Depuis des décennies, l’Iran vit sous un embargo technologique strict. Interdit d’acheter des armes modernes, le pays a opté pour une ingénierie inverse : il démonte, examine et reproduit des armes utilisés déjà par les ennemis. Ainsi, l’Iran est devenu l'expert mondial dans l'art de démonter les systèmes occidentaux et en particulier ceux des États-Unis. Durant des guerres, de nombreux équipements américains ont fini sur les tables d'autopsie de leurs laboratoires. Aujourd'hui, on assiste à un tournant historique ; même la Russie confie désormais à l'Iran certains matériels occidentaux sophistiqués capturés en Ukraine pour qu'ils soient analysés et recopiés.
Le véritable tournant pour l'industrie militaire iranienne survient en 2011. Cette année-là, l'impensable se produit et un drone furtif ultra-secret, le RQ-170 Sentinel de Lockheed Martin, s'écrase quasi intact dans la province iranienne de Chaharmahal-et-Bakhtiari. Washington, paniqué, exige aussitôt son retour. La réponse de Téhéran est négative. Cinq ans plus tard, l'Iran tient parole et dévoile son propre drone Saegheh-II connus sous le nom de Shahed-191. La ressemblance est frappante. Même silhouette en aile volante, même profil furtif, même queue en V. L'appareil est certes plus compact, mais il conserve la même autonomie d'environ cinq heures ; surtout, l'Iran ne s'est pas contenté de faire du mimétisme. Là où le RQ-170 américain était un pur drone d'espionnage, Shahed-191 iranien a été transformé en machine de combat capable d'emporter des missiles. Il a été vu en opération dès 2018 au-dessus d'Israël, infiltré par le Hezbollah et, en 2023, une version dérivée a été utilisée par la Russie pour frapper des cibles en Ukraine. La copie est devenue un système offensif redoutable, pleinement intégré aux guerres modernes.
Un an après, Téhéran dévoile le drone Shahed-129. Dès les premières images, la silhouette est familière. Elle évoque immédiatement le célèbre MQ-1 Predator américain ; le fuselage, la configuration des ailes, l'emplacement du moteur. Pour les analystes du renseignement, cette parenté n'a rien d'un hasard.
Plusieurs Predators américains ont été abattus ou récupérés à la suite des crashes dans les zones où l'Iran et ses alliés opéraient, notamment en Irak et en Afghanistan. Ces épaves ont servi de modèles pour les ingénieurs iraniens. Mais Shahed-129 ne se limite pas à être une copie. Il dépasse même son modèle sur plusieurs points critiques. Il affiche une autonomie de plus de 24 heures et la capacité d'emporter un arsenal complet pour des frappes au sol.
Le drone Shahed-129 a fini par devenir l'un des piliers de la stratégie iranienne, omniprésent dans les cieux de la région de l'Asie de l’Ouest.
Le talent de l'Iran pour l'ingénierie inverse ne se limite plus au ciel. Il s'étend désormais aux profondeurs des mers. Même les systèmes sous-marins les plus avancés de l'US Navy sont passés au crible. En octobre 2024, les combattants d'Ansarallah du Yémen dévoilent une nouvelle arme, une torpille-drone baptisée Al-Qari’a. Son apparence intrigue immédiatement les spécialistes navals qui y voient le Remus 600, un drone sous-marin utilisé par la marine américaine pour la détection de mines. Concevoir un drone sous-marin autonome (UUV) est infiniment complexe. Un Remus 600 authentique avait été capturé en 2018 par des hommes-grenouilles. C'est la preuve définitive que pour Téhéran, chaque pièce récupérée, même au fond de l'eau, peut devenir une source d'innovation militaire.
Mais ce n'est pas tout : après les drones aériens et les torpilles, l'Iran s'attaque à un domaine encore plus complexe, les intercepteurs supersoniques. En février 2025, Téhéran dévoile le GM-118, un nouveau missile de défense aérienne développé par ses forces armées. Très vite, les comparaisons s'imposent et troublent les experts occidentaux. Ses caractéristiques sont quasi identiques à celles du Coyote Block 2 américain : une portée de 25 km, un guidage hybride combinant radars et capteurs optiques et une capacité spécifique à abattre des cibles rapides et maniables. Pourtant, un détail cloche. Ni l'Iran ni ses alliés directs au Moyen-Orient n'ont jamais capturé de Coyote Block 2 sur un champ de bataille. Alors, d'où viennent les plans ? C'est ici que les regards se tournent vers l'Europe. Plusieurs rapports de renseignement indiquent que la Russie aurait transmis à l'Iran certains équipements occidentaux de pointe récupérés sur le front ukrainien pour qu'ils soient refabriqués par les ingénieurs perses. Ainsi est né un missile iranien inspiré d'une arme que l'Iran n'a, apparemment, jamais affronté directement. Une technologie perdue par l'Occident dans le Donbass finit par remettre en cause ses intérêts dans le golfe Persique.
L'Iran a ainsi réussi à transformer l'une des armes les plus efficaces de ses adversaires en un outil stratégique parfaitement adapté à ses propres guerres asymétriques.
En décembre 2012, l'Iran réalise un nouveau coup d'éclat en annonçant la capture d'un drone de surveillance ScanEagle, un modèle léger et sophistiqué développé par Boeing pour l'US Navy. Quelques années plus tard, Téhéran présente le fruit de ce travail, le drone Yassir, qui entre rapidement en production de masse. On le retrouve très vite sur tous les champs d'opération brûlants de la région, notamment en Irak et en Syrie où il sert d’ « œil avancé » pour les forces iraniennes et leurs alliées.
Mais l'histoire prend une tournure encore plus extraordinaire quand, en octobre 2013, lors d'une visite officielle, l'Iran va jusqu'à offrir un exemplaire de ce drone à un haut commandant de l'armée de l'air russe. Le message est puissant : l'Iran ne se contente plus de se soumettre à la technologie occidentale, il la maîtrise suffisamment pour l'offrir en cadeau à des superpuissances. Un simple engin capturé devient ainsi un outil d'influence diplomatique de premier plan.
Mais l'ingénierie inverse iranienne ne s'arrête pas là, aux grands drones de surveillance. Elle s'attaque désormais à des armes plus petites que sont les munitions rôdeuses.
Ces dernières années, Téhéran aurait mis la main sur un drone kamikaze américain Switchblade 300 pour donner naissance à sa propre version locale, Meraj 521. Le système apparaît publiquement pour la première fois lors de l'exercice militaire « Eghtedar 1402 » en octobre 2023. L'appareil ressemble presque trait pour trait à son modèle américain : mêmes ailes repliables, même tube de lancement compact, même mécanisme d'éjection.
Comme le Switchblade, Meraj 521 peut voler à basse altitude et se guider vers sa cible avant d'exploser à l'impact. C'est une arme conçue pour l'infanterie, facile à transporter dans un sac à dos, déployable en quelques secondes depuis un véhicule ou même une petite embarcation rapide. Pour l'Iran, cette reproduction n'est pas un simple copiage technique, c'est une pièce maîtresse dans la nouvelle guerre des drones qui évolue au Moyen-Orient. Cela permet de frapper avec une précision chirurgicale pour un coût dérisoire et surtout de saturer les défenses ennemies par le nombre.
Rien dans cette ascension fulgurante n'est le fruit du hasard. Si Téhéran parvient aujourd'hui à reconstituer en trois ans d'appui militaire aux Russes des technologies que l'Occident a mis des décennies à développer, c'est grâce à une alliance solide entre les ingénieurs de l'armée iranienne, les meilleures universités du pays et un réseau industriel parfaitement mature. L'objectif n'était pas une simple innovation, mais une efficacité au sens vrai du terme.
Cette méthode d’ingénierie inverse s'adapte parfaitement aux guerres asymétriques : chaque pièce d’armement saisie sur le terrain au Liban, en Irak ou au Yémen, devient un prototype potentiel. Désormais, perdre une arme avancée sur le champ de bataille ne signifie plus seulement pour les Américains ou les Israéliens une perte financière. C'est le risque de voir émerger rapidement une copie produite à la chaîne et distribuée à des ennemis jurés de l'hégémonie américaine.
Reste à savoir si les Américains, qui viennent de s'avouer vaincus en copiant Shahed-136 iranien et en le déployant au Moyen-Orient, savent se montrer aussi ingénieux que les Iraniens dans l'art de désarmer l'ennemi par sa propre arme.