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France : la liberté de la presse est mise à mal par les pressions politiques et la répression des journalistes

US Rep. Ilhan Omar (D-MN) (L) talks with Speaker of the House Nancy Pelosi (D-CA) during a rally with fellow Democrats before voting on H.R. 1, or the People Act, on the East Steps of the US Capitol on March 08, 2019 in Washington, DC. (AFP photo)
Pancarte de manifestant dénonçant l’article 24 de la loi de Sécurité globale et revendiquant le droit de la liberté de la presse, le 17 novembre 2020 lors d’une manifestation en Toulouse. ©AFP

Par Ghorban-Ali Khodabandeh

En France, la liberté de la presse est mise à mal par les pressions politiques, les failles juridiques, les harcèlements, les intimidations, les agressions physiques et les violences policières contre les journalistes. La France se distingue ainsi des "autres grandes démocraties européennes" par la médiocrité de son système médiatique et l’installation de l’extrême droite au sein de médias de masse.

Depuis quinze ans, le paysage médiatique français s’est radicalement transformé. Si la demande d’information n’a jamais été aussi forte, grâce à la révolution numérique, l’offre globale d’information, elle, n’a jamais été aussi faible, suscitant l’inquiétude grandissante de la profession représentée par ses sociétés de journalistes, syndicats, associations et collectifs.

Selon le classement mondial 2024 établi par Reporters sans frontières (RSF), la situation de la liberté de la presse en France est « plutôt bonne ». Ce classement ne reflète toutefois pas la complexité et les paradoxes du cas français.

Certes, la France a gagné trois places par rapport à 2023, mais ce progrès s'explique par une détérioration plus importante dans les autres pays. En plus, on assiste à une méfiance croissante des Français envers les médias de masse.

La liberté de la presse compromise par l’opacité d’une loi controversée

Illustration de ce tableau en demi-teinte avec l'arrestation d'Ariane Lavrilleux le 19 septembre 2023. La journaliste indépendante – qui travaille entre autres avec RFI – a été placée en garde à vue pendant 39 heures et perquisitionnée après une plainte du ministère des Armées. En cause, son enquête pour le média d'investigation Disclose dans laquelle elle faisait des révélations sur l'opération militaire conjointe entre la France et l'Égypte.

Le cas Lavrilleux-Disclose a opposé deux concepts majeurs : d'un côté, le droit à l'information, et de l'autre, ce que l'on peut qualifier de raison d'État. La liberté de la presse face à l'intérêt supérieur de la France. Pour justifier l'arrestation de la journaliste et l'interrogatoire destiné à ce qu'elle dévoile ses sources, les autorités ont mis en avant la sécurité des intérêts français et le secret-défense.

En France, la liberté de la presse est garantie par la loi du 29 juillet 1881. L'article 2 consacre le secret des sources. Pourtant, Ariane Lavrilleux, et d'autres journalistes avant elle, ont été inquiétés par les autorités à ce sujet ces dernières années. Une insécurité liée à un paradoxe législatif, avec l'introduction d'une révision datant du 4 janvier 2010 : la « loi Dati », dont une disposition sème le trouble.

L'imbroglio repose sur le principe même de l'« impératif prépondérant d'intérêt public ». Celui-ci n'est aucunement défini. Il n'a ni cadre, ni caractérisation précise, laissant ainsi toute latitude aux autorités françaises ; ces dernières peuvent décider seules de ce qui représente un risque pour leurs intérêts et justifie d'attenter à la liberté de la presse et à la protection des sources. Visiblement, la liberté de la presse est mise à mal par de telles justifications en invoquant une loi controversée.

Liberté de la presse : pressions politiques croissantes, concentration et dépendance

Les responsables politiques constituent la principale menace pour la liberté de la presse en Europe, la situation étant jugée « problématique » dans un tiers des États membres de l’UE, tandis que même les pays où la situation est jugée « bonne » et « plutôt bonne » chutent dans le classement mondial de la liberté de la presse 2024 publié par Reporters sans frontières (RSF).

La révolution intervenue ces quinze dernières années est bien la prise de contrôle de l’essentiel du système médiatique privé par des hommes d’affaires. Souvent dépendants de la commande publique, ces « capitaines d’industrie » structurent aujourd’hui le paysage de l’information.

La France a en effet cette particularité d’avoir aujourd’hui 90% des quotidiens nationaux et la totalité des chaînes de télévision privée détenus par sept grands industriels et financiers, dont les intérêts ne sont pas dans les métiers de l’information.

Ce phénomène de concentration s’est même accéléré au niveau local. Un rapport très officiel publié par l’inspection des finances et l’inspection des affaires culturelles considère que « La concentration de la presse est élevée pour la presse quotidienne nationale et très forte pour la presse quotidienne locale ».

Une nouvelle crise est en cours : une crise d’indépendance, la plupart de ces grands actionnaires faisant valoir dans leurs médias leurs intérêts et positions politiques. Dans un système d’information en crise et structurellement déficitaire, les médias rachetés par les industriels et financiers sont d’abord utilisés comme leviers d’influence.

Ainsi, la liberté de la presse est mise à mal par cet affaissement de l’indépendance de la qualité de l’information qui se présente comme une explication majeure du gouffre de défiance qui s’est créé entre l’opinion publique et les médias.

France : l’instrumentalisation des médias au service de l’establishment

Aux yeux d'une grande partie du public, les médias apparaissent comme faisant partie de « l'establishment » et partageant le même agenda idéologique et politique que lui.

L’illustration de cette instrumentalisation à des fins politiques en France est le magazine satirique Charlie Hebdo. Alors que la ligne éditoriale de l’hebdomadaire fondé en 1970 consistait au départ à critiquer la politique et la bien-pensance, le ciblage des musulmans par Charlie Hebdo rappelle les heures sombres de la caricature française.

Aujourd’hui, au lieu d’ébranler le pouvoir, Charlie Hebdo est instrumentalisé par ce dernier. Il est soudain devenu une norme républicaine, un nouveau symbole des valeurs qui cimentent la collectivité. Et loin de froisser le pouvoir, il cherche à flatter l’opinion publique et à rallier à lui le plus grand nombre, y compris les islamophobes, en s’attaquant à la minorité musulmane.

Le blasphème est aujourd’hui brandi comme un droit inaliénable, le symbole d’une liberté d’expression qui serait menacée en France. Alors que les caricatures devraient constituer un contre-pouvoir, elles deviennent un instrument de persécution morale des minorités. On est très loin d’une mission éducative.

Le fait que les dessins de Charlie Hebdo soient instrumentalisés par le pouvoir et projetés publiquement par des municipalités devrait nous faire réfléchir sur l’utilisation que veut en faire l’État, et sur la mission dévoyée des caricaturistes, devenus des vecteurs de la communication du gouvernement.

Violences policières et offensives judiciaires contre le journalisme indépendant

Le nombre d’agressions physiques contre des journalistes, mais aussi les faits de harcèlement et d’intimidation ont atteint « des niveaux records » en France.

Alors que le gouvernement prétend s’arroger le droit de distribuer des bons points aux journaux et classer les médias entre ceux qui disent la vérité et les autres, un rapport très officiel éclaire un peu plus la conception toute particulière de l’exécutif quant à la liberté de la presse et la liberté d’expression. En effet, dans son rapport sur « l’offensive contre la liberté de la presse », le Conseil de l’Europe classe la France dans le groupe des 10 pays « à suivre », en raison des violences policières à l’encontre des journalistes couvrant les manifestations.

Les alertes reçues par le Conseil de l’Europe témoignent « d’insultes, de menaces, de destructions de matériel ou d’interventions qui font ressortir que, lors d’évènements publics, les forces de l’ordre ignorent ou ne tiennent pas suffisamment compte de l’obligation qui leur incombe de protéger les acteurs des médias et leur matériel ».

Parmi les atteintes caractérisées à la liberté de la presse, on peut citer l’obstruction exercée lors de manifestations par les forces de l’ordre, « notamment sous la forme d’agressions physiques, d’actes d’intimidation, d’arrestation et de placement en détention, ou encore d’ordres exigeant d’arrêter de filmer ou interdisant l’accès à certains lieux ».

Depuis mars 2023, les journalistes qui couvrent la mobilisation sociale et le mouvement de contestation pro-Palestine subissent de fortes pressions policières. Si la plupart de ces agressions physiques ont été commises lors de manifestations contre le mouvement des Gilets Jaunes et la réforme des retraites, plusieurs incidents ont aussi été signalés lors des rassemblements pro-palestiniens.

Ces dernières années ont été marquées également par de multiples offensives judiciaires contre des journalistes. Des procès en cascade ont été intentés par des hommes d’affaires à la suite de publications d’enquêtes, obligeant des titres financièrement fragiles à engager de lourds frais d’avocat et de justice.

Le syndicat national des journalistes a saisi la Défenseure des droits des cas de plusieurs journalistes cibles de violences policières lors des manifestations contre la réforme des retraites.

Tel est le paysage de l’information en France. Une dégradation pas forcément spectaculaire mais continue et à bas bruit, doublée d’une précarisation croissante du métier de journaliste et les multiples atteintes au droit à une information pluraliste et de qualité des citoyennes et des citoyens.

Les syndicats de journalistes, les collectifs, les avocats spécialisés en droit de la presse, les associations de défense des libertés publiques, les sociétés de journalistes de nombreux médias tirent la sonnette d’alarme depuis trop longtemps sur la dégradation du système d’information : la liberté de la presse est mise à mal par des obstructions inquiétantes.

Une crise de confiance des Français envers les médias

Autre source d’inquiétude, la liberté de la presse est mise à mal par une forte défiance à l’égard des médias et des journalistes.

Quelque 57% des Français considèrent qu'il faut se méfier de ce que disent les médias sur les grands sujets d'actualité, selon la 37e édition du baromètre La Croix-Kantar Public sur la confiance des Français dans les médias.

Parmi les objets de défiance, on peut citer la perception de l'indépendance des journalistes, puisque 59% des personnes sondées considèrent qu'ils ne sont pas indépendants aux pressions des partis politiques et du pouvoir, et 56% pensent qu'ils ne résistent pas aux pressions de l'argent.

Ce qui est grave, c’est ce que ce sont les journalistes et leur métier qui en font les frais. Des tendances politiques qui représentent une part importante de l’opinion publique ne sont plus correctement représentées dans les médias, et ne peuvent plus apporter la contradiction aux hommes politiques, ce qui représente une menace pour la démocratie.

Les extrêmes ne sont pas affaiblis parce qu’on les marginalise dans les médias, en tout cas pas à long terme. Cette politique risque de se retourner contre ceux qui la promeuvent.

Pour autant, c’est dans ce paysage sinistré de l’information en France que des dizaines de médias indépendants tentent de produire un journalisme de qualité, indépendant, et de reconstruire une relation avec des publics qui ne font plus confiance et se détournent des médias de masse. Ces médias indépendants inventent de nouveaux formats, s’adaptent aux nouveaux usages et investissent dans le numérique. C’est dans cette galaxie de plusieurs centaines de médias indépendants que s’invente le futur et se reconstruit le journalisme.

Ghorban-Ali Khodabandeh est journaliste et analyste politique iranien basé à Téhéran.

 

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SOURCE: FRENCH PRESS TV