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Élections législatives en France : quelle couleur politique pour l’Assemblée nationale ?

US Rep. Ilhan Omar (D-MN) (L) talks with Speaker of the House Nancy Pelosi (D-CA) during a rally with fellow Democrats before voting on H.R. 1, or the People Act, on the East Steps of the US Capitol on March 08, 2019 in Washington, DC. (AFP photo)
De gauche à droite : une militante du Nouveau Front populaire lors des manifestations de ce week-end ; le Premier ministre Gabriel Attal en campagne à La Chapelle-sur-Erdre, près de Nantes ; Marine Le Pen le soir de l’élection européenne. ©AFP

Par Ghorbanali Khodabandeh

La France entrait lundi dans une semaine décisive de tractations politiques au lendemain du premier tour des élections législatives historiques qui a vu l’extrême droite arriver aux « portes du pouvoir ».

Le Rassemblement national est arrivé largement en tête dimanche du premier tour d'élections législatives historiques et a demandé aux Français de lui donner une majorité absolue au deuxième tour. 

Trois semaines après le séisme politique provoqué par le président Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale, les Français ont voté massivement dimanche 30 juin au premier tour d’un scrutin particulièrement scruté à l’étranger.

C'est pourtant le président Emmanuel Macron qui a lui-même initié ce séisme par la dissolution de l'Assemblée nationale le 9 juin dernier, à la suite de la défaite du parti présidentiel aux élections européennes. C'est un scrutin historique qui pourrait bouleverser le paysage politique du pays avec un gouvernement du Rassemble national. L’idée d’une cohabitation en France avec le parti d’extrême droite est redoutée par les dirigeants de l’Union européenne.

Le RN largement en tête au premier tour des législatives en France

Avec 33,2-33,5% des suffrages, le Rassemblement national et ses alliés obtiennent leur meilleur score au premier tour des élections législatives en France, dans le sillage des européennes, selon les dernières estimations. Ils devancent le Nouveau Front populaire réunissant la gauche (28,1-28,5%), loin devant le camp d’Emmanuel Macron (21-22,1%), lors de ce vote marqué par une participation en forte hausse. Les Républicains (LR) qui n'ont pas fait alliance avec le RN s'établissent autour de 10%.

« Il nous faut une majorité absolue », a lancé Marine Le Pen, annonçant sa propre élection comme députée dès le premier tour dans son fief d'Hénin-Beaumont.

Selon la triple candidate à la présidentielle, « le bloc macroniste » est « pratiquement effacé » après ce premier de vote anticipé provoqué par la dissolution surprise de l'Assemblée.

Il s'agirait ainsi d'une cohabitation inédite entre Emmanuel Macron, Président pro-européen, et un gouvernement beaucoup plus hostile à l'Union européenne, qui pourrait faire des étincelles au sujet des prérogatives des deux têtes de l'exécutif, notamment en matière de diplomatie et défense.

Le scénario d’une Assemblée nationale bloquée

Alors que s'engagent déjà les débats sur la formation et l'étendue d'un « front républicain » pour lui faire barrage au lendemain du premier tour des élections législatives, le parti de Jordan Bardella et Marine Le Pen est en mesure d'obtenir une forte majorité relative voire une majorité absolue dimanche prochain.

Mais le scénario d’une Assemblée nationale bloquée, sans alliances majoritaires envisageables entre les trois blocs en présence, reste aussi une possibilité, un scénario qui plongerait la France dans l’inconnu. Le pari d’Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale au soir de la déroute de ses candidats aux élections européennes du 9 juin, est dans tous les cas définitivement perdu.

Jordan Bardella, qui aspire à entrer à Matignon, a promis d’être «un premier ministre de cohabitation, respectueux de la Constitution et de la fonction du président de la République, mais intransigeant» sur son projet de gouvernement.

Si Jordan Bardella devenait premier ministre, ce serait la première fois qu’un gouvernement issu de l’extrême droite dirigerait la France depuis la Seconde Guerre mondiale, au cours de laquelle un régime collaborationniste non élu avait été mis en place. 

«L’extrême droite est aux portes du pouvoir», a alerté le premier ministre Gabriel Attal, appelant à «empêcher le Rassemblement national d’avoir une majorité absolue».

«Nous avons sept jours pour éviter à la France une catastrophe», a lancé de son côté le député européen de gauche Raphaël Glucksmann, qui a appelé tous les candidats arrivés en troisième position à se désister.

Le Nouveau front populaire se présente comme « la seule alternative »

À gauche, l’appel au barrage face au RN fait consensus : le leader de La France insoumise Jean-Luc Mélenchon a annoncé que ses candidats se retireraient s’ils terminaient troisièmes et que le RN était en tête.

M. Mélenchon a en outre salué l’engagement de la jeunesse et des quartiers populaires lors de ce scrutin, appelant à donner une majorité au NFP, « car il est la seule alternative », alors que de nombreuses triangulaires incluent des candidats de gauche.

« En toute circonstance, notre consigne est simple, directe et claire, pas une voix, pas une siège de plus pour le RN », a-t-il conclu.

La patronne des Écologistes Marine Tondelier a de son côté plaidé pour la «construction d’un nouveau front républicain », malgré son étiolement continu au fil des ans.

Une centaine d’organisations en France, dont des associations et des syndicats, sont appelé le soir du premier tour des législatives à voter contre le RN au second tour.

«Pas une voix ne doit manquer à la défaite du RN», ont estimé les signataires de cet appel, rédigé à l’initiative de la Ligue des droits de l’homme (LDH). LR a pour sa part refusé de donner des consignes de vote.

Camouflet pour le camp présidentiel 

Malgré une participation très importante, il s’agit d’un camouflet de taille pour Renaissance et le locataire de l’Élysée. Raison pour laquelle, à gauche comme à l’extrême droite, le résultat du premier tour des élections législatives a été une occasion de plus de souligner la défaite du camp présidentiel.

Depuis son arrivée au pouvoir en 2017, Emmanuel Macron, le président des riches, a fait exploser les inégalités et a attaqué les droits démocratiques des Français. Tant avec les gilets jaunes qu’avec la réforme des retraites (le passage de la pension à 64 ans) et la crise du pouvoir d’achat, il a alimenté la colère légitime d’une grande partie de la population. Ses politiques antisociales ont été le terreau de la montée de l’extrême droite, et en même temps, il a de plus en plus légitimé les idées du Rassemblement national (RN) en tapant toujours plus durement vers « le bas » : les chômeurs, les travailleurs précaires, les personnes d’origine étrangère.

Au soir du 9 juin, largement battu aux élections européennes, Macron dissout l’Assemblée nationale, symbolisant la faillite de sa politique. Élu en 2017 pour faire barrage à l’extrême droite, puis réélu en 2022, sa politique a fait faillite.

Face à chaque mouvement de résistance, Macron a toujours préféré une politique violente et de recul démocratique. Gilets jaunes, travailleurs et syndicats contre la réforme des retraites, militants écologiques… Tous ont subi la violence de l’Etat et la répression policière.

Par sa politique autoritaire, ses attaques incessantes contre les syndicats et la gauche radicale et la légitimation du programme du RN -notamment avec la loi immigration défendue par le gouvernement macroniste fin 2023, que Marine Le Pen a décrit comme une « victoire idéologique »-, la stratégie de Macron a clairement été de hisser le RN comme seul adversaire. Et aujourd’hui, c’est cette extrême droite qui est aux portes du pouvoir.

Un alignement sur la politique de l’Union européenne et de l’OTAN

Autre évolution à remarquer du RN, son alignement sur la politique d’austérité de l’Union européenne et même de la politique de guerre des États-Unis.

Sur les coupes dans les dépenses publiques exigées par la Commission européenne, le candidat premier ministre du RN Jordan Bardella a affirmé vouloir « revenir à la raison budgétaire », répété avoir conscience de la faible marge de manœuvre budgétaire et multiplié les pistes pour couper dans les services publics.

Le RN s’aligne aujourd’hui davantage sur la politique de l’OTAN. Dans son programme présidentiel de 2022, le parti défendait une politique impérialiste « indépendante » de la France (notamment contre l’Afrique) et revendiquait le retrait de la France du commandement de l’OTAN, proposant même un rapprochement militaire avec la Russie de Poutine et des oligarques. 

En l'absence d'un projet clair pour l'Union Européenne autre qu'un retour à l'austérité, incapable de tracer une voie indépendante en matière de politique étrangère, l'establishment européen trouve des moyens d'intégrer des morceaux de l’extrême droite, d'abord avec Meloni, puis, semble-t-il, avec le RN où il y aura encore des moments de conflit, avec la cohabitation possible entre Macron et un premier ministre d'extrême droite.

Un scénario redouté par les dirigeants européens, qui ont bien raison de s’inquiéter tant la cohabitation avec le parti d’extrême droite risque d’être tendue, pour une triple raison, institutionnelle, politique et idéologique.

Ghorbanali Khodabandeh est un journaliste et analyste politique iranien basé à Téhéran.

(Les opinions exprimées dans cet article ne reflètent pas nécessairement celles de Press TV.)

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SOURCE: FRENCH PRESS TV