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Le scénario périlleux de Macron pour la France et pour l’Europe

US Rep. Ilhan Omar (D-MN) (L) talks with Speaker of the House Nancy Pelosi (D-CA) during a rally with fellow Democrats before voting on H.R. 1, or the People Act, on the East Steps of the US Capitol on March 08, 2019 in Washington, DC. (AFP photo)
Le président français Emmanuel Macron. ©Sipa Press/Archives

Par Ghorbanali Khodabandeh

La France est sous le feu des projecteurs depuis dimanche dernier, lorsque le président, Emmanuel Macron, a annoncé à la surprise générale la dissolution de l’Assemblée nationale en réaction à la forte montée de l’extrême droite française lors des élections européennes.

Pour les élections législatives anticipées qui en découlent, le pays voit la majorité présidentielle, en perte de popularité, faire face au parti d’extrême droite, Rassemblement national, et à l’union des gauches, sous l’étiquette du Nouveau Front populaire.

Des centaines de milliers de Français ont alors déferlé dans les rues samedi 15 juin pour dire non à l’extrême droite, répondant à l’appel d’un large front uni de syndicats, d’associations et de la coalition de gauche du Nouveau Front populaire. Face à la menace d’un RN aux portes du pouvoir, la mobilisation citoyenne a été d’une ampleur inédite, nourrie par la peur de voir l’extrême droite s’imposer et par l’espoir d’un changement de cap avec une gauche unie.

À l’échelle du continent, la France est l’un des pays où les extrêmes droites réalisent leur meilleur score, après la Hongrie et la Pologne et, comme en 2014 et en 2019, le centre de gravité du futur Parlement européen s’est un peu plus déplacé à droite. Une période d’incertitude s’est alors ouverte en France avec la dissolution de l’Assemblée nationale. Incertitude sur le rôle que la France pourra jouer en Europe.

Législatives en France : 250 000 manifestants contre le Rassemblement national

Environ 250 000 personnes ont défilé ce 15 juin en France, dont 75 000 à Paris, contre le Rassemblement national (RN), donné en tête dans les sondages, deux semaines avant les élections législatives anticipées convoquées les 30 juin et 7 juillet par le président français Emmanuel Macron.

Syndicats, associations et partis de gauche avaient appelé à un « raz-de-marée populaire » pour conjurer une nouvelle victoire du RN, après son triomphe dimanche aux européennes qui a conduit le chef de l’État à dissoudre l’Assemblée nationale. Dans la foule où les autorités ont dénombré 250 000 personnes, dont 75 000 à Paris (640 000 selon le syndicat CGT), ces manifestants s’opposent à ce qu’une victoire du RN dans les urnes aboutisse à une cohabitation du président du RN, Jordan Bardella, avec le président Emmanuel Macron.

Les chiffres de ce 15 juin sont très en deçà de la mobilisation du 1er mai 2002 quand plus d’un million de personnes avaient manifesté pour dire « non » au Front national après la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour des élections présidentielles face au président français d’alors : Jacques Chirac. 

Selon un sondage OpinionWay pour Les Échos, publié ce 15 juin, le RN est crédité de 33 % des intentions de vote, devant le bloc de gauche (le Nouveau Front populaire) donné à 25 %, les partis de l’ancienne majorité présidentielle n’arrivant qu’en troisième position avec 20 % des intentions de vote.

France : triomphe du Rassemblement national de Jordan Bardella, désaveu pour Macron

Le Rassemblement national (extrême droite) est sorti grand vainqueur des élections européennes en France dimanche 9 juin, loin devant les listes macroniste et socialiste, selon les estimations du Parlement européen.

Selon les résultats définitifs, la liste menée par Jordan Bardella obtient 31,37 % des voix, près de 16 points devant les macronistes menés par Valérie Hayer (14,6 %) et la liste PS-Place publique de Raphaël Glucksmann (13,83 %).   

La France Insoumise arrive 4e avec 9,89 % des voix, devant la liste LR (7,25 %). Les écologistes et Reconquête (parti d’Eric Zemmour) sont tous deux légèrement au-dessus des 5 %, mais courent toujours le risque de n’envoyer aucun eurodéputé au Parlement.

Suite aux résultats des élections européennes et le « désaveu cinglant » subi par le camp présidentiel, le président Emmanuel Macron a annoncé la dissolution de l’Assemblée nationale et la tenue d’élections législatives anticipées, réclamées par Jordan Bardella, vainqueur des Européennes.

« Je signerai dans quelques instants le décret de convocation des élections législatives qui se tiendront le 30 juin pour le premier tour et le 7 juillet pour le second », a déclaré le chef de l’État dans une allocution télévisée après l’annonce des résultats. « L’issue du scrutin européen n’est pas un bon résultat pour les partis qui défendent l’Europe, la montée des nationalistes et des démagogues est un danger pour notre nation », a-t-il ajouté.

Un réel vote sanction à l’encontre d’Emmanuel Macron se manifeste ainsi par près de 40 % des personnes interrogées qui affirment avoir exprimé leur mécontentement vis-à-vis du Président et du gouvernement, davantage qu’il y a cinq ans.

Dissolution de l’Assemblée nationale : le pari risqué de Macron pour conjurer la crise politique

En décidant de dissoudre l’Assemblée nationale après sa défaite face au RN, Macron espère créer un choc qui lui bénéficie. Pour les observateurs, la défaite est brutale et signe l’échec du Premier ministre à revitaliser un macronisme en crise profonde et toujours minoritaire à l’Assemblée. Face à la crise politique rouverte par ce résultat, Emmanuel Macron a tenté le tout pour le tout, en cédant à l’appel à dissoudre l’Assemblée nationale lancé par Jordan Bardella.

Avec son annonce surprise, le chef de l’exécutif veut provoquer un électrochoc et instrumentaliser la peur de l’extrême droit et la division de la gauche pour obtenir un Parlement plus gouvernable. Une politique accompagnée de l’annonce tactique que la majorité présidentielle ne présentera pas de candidat face aux forces appartenant à « l’arc républicain ».

Le pari est ainsi clair : tenter de ramener, d’une manière ou d’une autre, des secteurs de la gauche institutionnelle et de la droite dans son giron, à l’issue de législatives sous le signe du « front républicain ». Si ce coup de force pouvait très bien ne pas réussir, il aura nécessairement pour conséquence de renforcer considérablement le poids du Rassemblement national à l’Assemblée.

En concédant la victoire à l’extrême droit et en cherchant à canaliser l’émotion suscitée par le résultat du scrutin européen en sa faveur, le gouvernement va ainsi au bout de son rôle de passe-plat de l’extrême droit. Un choix extrêmement dangereux, et qui annonce une nouvelle poussée réactionnaire, aux conséquences lourdes pour la société française.

Dissolution de l’Assemblée nationale en France : l’heure des grandes manœuvres électorales

Alors que le président Macron a prononcé la dissolution de l’Assemblée nationale, les différentes formations politiques se sont mises en ordre de bataille depuis lundi 10 juin et les tractations pour des alliances vont bon train.

« J’appelle les Français à venir nous rejoindre pour former autour du RN une majorité au service de la seule cause qui guide nos pas : la France » : dimanche 9 juin 2024, quelques instants à peine après l’annonce tonitruante de dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron, Marine Le Pen appelait à une mobilisation de ses électeurs pour disposer d’une majorité afin de diriger le pays après les élections législatives qui se dérouleront les 30 juin et 7 juillet.

Arrivé largement en tête avec plus de 31 % des voix contre moins de 15 pour la majorité, le Rassemblement national (RN) veut désormais exercer le pouvoir. Le jeu semble en valoir la chandelle. Le vice-président du parti Sébastien Chenu a indiqué sur RTL ce 10 juin que c’est Jordan Bardella qui sera le candidat pour Matignon. « Jordan Bardella a été élu député européen, donc il a déjà l’onction populaire », a-t-il déclaré. Dès l’annonce de dissolution, le président des Républicains, Éric Ciotti, a quant à lui signifié sur X son refus « d’entrer dans une coalition avec ce pouvoir qui a tant abîmé la France » et d’ajouter : « le macronisme, c’est toujours plus d’impôts, d’immigration et d’insécurité ». Avec 7,25 % des voix et deux sièges de moins qu’en 2019, LR pourrait être courtisé par la majorité présidentielle pour une coalition.

La France Insoumise a pour sa part présenté un ensemble d’éléments programmatiques pour mettre en place une alliance à gauche. Si les éléments d’ordre sociaux ou écologiques ne devaient pas poser de problème à leurs partenaires, la position de LFI en faveur de la paix en Ukraine et pour « la fin du génocide en cours à Gaza » devrait éloigner les socialistes et les écologistes réputés plus atlantistes.

C’est la sixième dissolution sous la Ve République et ne s’est présentée que huit fois en plus de cent ans. Le général de Gaulle et François Mitterrand en ont chacun prononcé deux, à chaque fois suivis par une victoire électorale de la majorité présidentielle. Celle décidée par Jacques Chirac en 1997 a en revanche vu la gauche remporter une majorité des sièges, donnant lieu à la nomination de Lionel Jospin à Matignon et à la cohabitation.

La montée de l’extrême droite va-t-elle paralyser l’Union européenne ?

Emmanuel Macron n’est pas le seul chef d’État et de gouvernement européen à avoir été désavoué par les élections européennes, le 9 juin. Le chancelier allemand social-démocrate, Olaf Scholz, pour n’en citer qu’un, a également subi un sérieux revers. Mais les homologues de M. Macron, avec lesquels il doit dîner à Bruxelles, lundi 17 juin, pour la première fois depuis le scrutin, ont très envie de l’entendre sur sa décision de dissoudre l’Assemblée nationale et de convoquer des élections anticipées les 30 juin et 7 juillet.

Certes, il s’agit d’une question de politique nationale, que les autres membres de l’Union européenne évitent d’aborder quand ils se retrouvent pour un conseil européen. Mais, en l’occurrence, ce qui se passera à Paris ne sera pas sans influence sur la marche des affaires communautaires.

Les chefs de plusieurs partis d’extrême droite, dont Marine Le Pen, présidente du Rassemblement national (RN) en France et Matteo Salvini, chef de la Ligue en Italie, se sont réunis mercredi à Bruxelles pour faire le point après les élections européennes. Le succès remporté par l’extrême droite va avoir des conséquences, aussi bien au Parlement qu’à la Commission. Elles seront visibles à partir de l’automne. Toutefois, cela ne devrait pas bloquer le fonctionnement des institutions.

Tous les eurodéputés ont rendez-vous pour une première session le 16 juillet prochain, à Strasbourg. Un premier rendez-vous important puisqu’ils devront élire le ou la prochaine présidente de la Commission européenne. L’actuelle présidente, Ursula von der Leyen, est candidate légitime puisque son groupe, la droite conservatrice, est toujours majoritaire au Parlement européen.

Les divisions de l’extrême droite sur l’attitude à adopter face à Moscou pourraient compliquer les négociations dans l’UE à l’heure où les Vingt-Sept cherchent à renforcer leur industrie de défense tout en peinant à dégager les fonds nécessaires.

En décidant, immédiatement après la publication des premiers résultats, de dissoudre l’Assemblée nationale et de convoquer des élections législatives anticipées, le président français a jeté le pays dans la campagne la plus incertaine de l’histoire récente, une campagne dont le résultat déterminera l’héritage de sa présidence et l’orientation de la France et de l’Europe.

Ghorbanali Khodabandeh est un journaliste et analyste politique iranien basé à Téhéran.

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SOURCE: FRENCH PRESS TV