Par Xavier Villar
L'Iran commémore cette semaine le 45e anniversaire de la fondation de la République islamique, connue sous le nom de « L'aube du jour », un moment décisif dans l'histoire mondiale contemporaine qui a entraîné des changements significatifs dans la façon dont les gens regardent le monde avec un langage et un horizon politique différents.
La Révolution islamique de 1979, dirigée par l’Ayatollah Ruhollah Khomeini, a donné une voix et une liberté d’agir à ceux qui étaient décrits par l’historiographie occidentale comme passifs et dépolitisés.
Justement, le prétendu manque d’action des musulmans a conduit à considérer la fondation de la République islamique en 1979 comme un événement hors norme défini par des puissances arrogantes.
Il est important de noter que la création de la République islamique a été précédée par un mouvement révolutionnaire – la Révolution islamique – la première révolution du genre qui ne suivait pas la grammaire occidentale et était différente des autres révolutions classiques comme la révolution française, les révolutions russe et chinoise.
Contrairement à ces révolutions, qui découlaient d’une certaine manière du même moment historique et politique que les « Lumières », la Révolution islamique d’Iran s’est écartée des objectifs, de la direction et des slogans associés aux Lumières et à leurs buts.
La Révolution islamique, ainsi que la fondation ultérieure de la République islamique, doivent être comprises dans une perspective épistémique, ce qui signifie que son objectif n’était pas seulement le renversement d’une dynastie corrompue, mais aussi le renversement et le remplacement ultérieur de la grammaire politique occidentale ; ce que certains experts appellent la « westernesse ».
Cette grammaire, représentée en Iran par la dynastie Pahlavi, privilégiait un ensemble de principes qui, en général, empêchaient la construction d'une identité politique musulmane indépendante.
Sous « westernesse », par exemple, l’Islam était perçu comme une « religion », définie comme une croyance privée distincte de la sphère politique. Simultanément, la vision du régime Pahlavi de l’Islam en tant que « religion » reposait sur l’existence nécessaire d’un discours sur la laïcité.
La laïcité ne doit pas être comprise simplement comme l’absence de religion ou son exclusion de la sphère publique mais comme un projet normatif qui fixe ses propres limites.
Pour la République islamique, la laïcité n’est ni naturelle ni l’aboutissement d’un processus historique. Il est perçu comme un discours disciplinaire, une modalité politique qui valide certaines sensibilités politiques tout en excluant d’autres en les considérant comme des menaces.
La Révolution islamique a joué un rôle crucial dans le démantèlement de l’hégémonie de l’ensemble du complexe discursif connu sous le nom de « westernesse ». Cette destruction est fondamentale pour comprendre la catégorie de « scandale » précédemment appliquée à la fondation de la République islamique.
Grâce à l’intervention de la politique révolutionnaire islamique, la séquence historique prétendument nécessaire, connue sous le nom de « De Platon à l’OTAN », aurait été interrompue.
En d’autres termes, en mobilisant un langage politique différent, en l’occurrence un langage islamique, l’idée normative selon laquelle le monde était tel qu’il est naturellement et nécessairement a été remise en question.
La première conséquence de la Révolution islamique a donc été de remettre en question le récit défini par l’idéologie occidentale et, simultanément, de permettre différentes manières d’habiter le monde en termes politiques.
Ainsi, ce qui a été réalisé n’a pas seulement été la chute de la dynastie Pahlavi, corrompue et autoritaire, soutenue par l’Occident, mais la provincialisation (obsolescence) de l’Occident : le westernesse a cessé d’être la seule langue possible.
Le moment révolutionnaire marque le retour du politique. Il est important de différencier le terme « le politique » du terme plus courant et banal, qui est « la politique ».
Le politique représente le moment d’ouverture, de déstabilisation et de désarticulation du statu quo, et donc l’émergence de nouvelles possibilités d’habiter le monde.
D’un autre côté, la « politique » fait référence au moment de sédimentation et de normalisation. Les deux moments sont nécessaires, et en même temps, leur coexistence est toujours incertaine.
Suivant ce cadre, la fondation de la Révolution islamique a marqué le point culminant de la phase révolutionnaire qui a coûté des années et des milliers de vies.
Cela dit, il est crucial d’analyser la fondation de la République islamique en 1979 par l’imam Khomeini non pas comme un acte théologique mais comme un acte politique.
Cependant, cet acte découlait, comme mentionné précédemment, d’un langage spécifique centré sur l’Islam.
Cette approche se reflète dans un ensemble de principes islamiques qui constituent la base sur laquelle repose l’ensemble du cadre politique de la République islamique actuelle. Ces principes racontent l’histoire d’une lutte contre l’injustice et l’oppression, représentées à la fois par les Pahlavis et par la domination de l’idéologie occidentale.
La lutte contre l'injustice englobe deux dimensions reflétées dans la fondation de la République islamique. D’un côté, il y avait la volonté de défendre les musulmans contre les injustices du monde. Pour y parvenir, il fallait construire une puissance islamique capable de protéger l'Oumma.
Ce pouvoir islamique serait la garantie d’une présence islamique indépendante dans le monde contemporain, et son absence signifierait que les musulmans ne seraient pas représentés politiquement au niveau mondial.
D’autre part, cette lutte contre l’injustice doit être comprise dans une perspective existentielle-ontologique : elle implique une marche constante vers un horizon éthique qui sert de guide, jamais entièrement réalisable mais toujours présent.
Cette perspective existentielle-ontologique se reflète dans le récit coranique du Pharaon. Cette figure devient un archétype de tout ce que signifie l’injustice. Le Pharaon est un symbole d’autorité absolue entendue en termes autoritaires et despotiques.
En tant que tel, cela représente l’absence de toute compassion et la mise en œuvre de systèmes politico-économiques basés sur l’injustice et la tyrannie. Dans le même temps, le Pharaon commet le crime de transgression en tentant de remplacer la figure divine.
La fondation de la République islamique est comprise comme faisant partie de la lutte existentielle contre l’injustice et l’oppression. Dans le récit de la République islamique, on affirme que tout moment politique dominé par l’injustice et la brutalité de l’oppression est voué à la destruction.
La fondation de la République islamique, ainsi que tous les actes politiques qui en découlent, s’inscrivent dans le cadre de la lutte contre l’injustice.
Par conséquent, comprendre la République islamique signifie comprendre le rejet du langage occidental, la nécessité d’articuler des visions politiques indépendantes et l’opposition à toutes les entités politiques qui transgressent et tentent de construire des hiérarchies basées sur l’oppression.
Xavier Villar est docteur en études islamiques et chercheur basé en Espagne.
(Les opinions exprimées dans cet article ne reflètent pas nécessairement celles de Press TV)