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Le tropisme pro-israélien de Macron fait des remous au sein du corps diplomatique français

US Rep. Ilhan Omar (D-MN) (L) talks with Speaker of the House Nancy Pelosi (D-CA) during a rally with fellow Democrats before voting on H.R. 1, or the People Act, on the East Steps of the US Capitol on March 08, 2019 in Washington, DC. (AFP photo)

Par Ghorban-Ali Khodabandeh

La voie choisie par le président français Emmanuel Macron face à la guerre israélienne contre Gaza est loin de faire consensus au sein du corps diplomatique français. Selon plusieurs sources, des ambassadeurs regrettent la perte d'influence de Paris au sein du monde arabe et reprochent le manque d'équilibre de l'exécutif. «Notre position en faveur d’Israël est en rupture avec notre position traditionnellement équilibrée entre Israéliens et Palestiniens», pointent du doigt plusieurs diplomates, selon une note ayant circulé au Quai d'Orsay et révélée le 13 novembre par Le Figaro.

Ce document constitue ni plus ni moins qu'une «note de dissidence», selon les termes d'un ancien ambassadeur consulté par le reporter Georges Malbrunot. Cette initiative serait même « sans précédent de la part d’ambassadeurs de France au Moyen-Orient », selon Denis Bauchard, Charles-Henri d’Aragon et Yves Aubin de la Messuzière, ex-ambassadeurs dans la zone cités par Le Figaro. 

La fronde des ambassadeurs de France contre la diplomatie de Macron sur le conflit israélo-palestinien

Une note envoyée par les ambassadeurs de France dans les pays arabes contre la politique pro-sioniste de Macron qui a provoqué des tensions dans les capitales arabo-musulmanes de la région contre Paris.

Via une note commune, plusieurs ambassadeurs de France au Moyen-Orient regrettent la position de Paris dans le conflit israélo-palestinien.

« C’est un geste inédit dans l’histoire récente de la diplomatie française dans le monde arabe. Plusieurs ambassadeurs de France au Moyen-Orient et dans certains pays du Maghreb - une dizaine, selon nos informations - ont collectivement rédigé et signé une note, regrettant le virage pro-israélien pris par Emmanuel Macron. », écrit Le Figaro.

« Cette note commune a été adressée au Quai d’Orsay, avec des destinataires à l’Élysée, précise un diplomate à Paris, qui l’a lue. « Dans la note que l’on pourrait tout de même qualifier de note de dissidence, ces ambassadeurs affirment que la position de la France en faveur d’Israël au début de la crise est incomprise au Moyen-Orient et qu’elle est en rupture avec notre position traditionnellement équilibrée entre Israéliens et Palestiniens. »

Cette note « apparaît comme une véritable démarche d’ambassadeurs qui font un constat identique », remarque Denis Bauchard, également ex-directeur pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient au ministère. « C’est l’expression d’une inquiétude, celle de voir la France perdre de son influence y compris dans des pays avec lesquels les relations sont traditionnellement bonnes, que ce soit au Liban, en Jordanie ou en Égypte ».

Pour l’ancien ambassadeur en Irak et en Tunisie, Yves Aubin de la Messuzière, cette note résulte de « prises de position successives du président sur le conflit israélo-palestinien qui suscitent l’incompréhension » chez certains ambassadeurs. « On a le sentiment d’initiatives ou de propositions irréfléchies ou totalement improvisées, comme celle qui consistait à élargir les missions de la coalition internationale de lutte contre Daech au combat contre le Hamas. » C’était « inutile et inopérant », poursuit-il, en référence au fait que de nombreux pays arabes n’auraient jamais adhéré à une telle initiative.

Il souligne aussi que les positions du président rendent « illisible » la politique étrangère de la France, compliquant la tâche des diplomates sur le terrain. Depuis le général de Gaulle jusqu’à Jacques Chirac, la question israélo-palestinienne était « un élément structurant de la politique étrangère de la France », rappelle-t-il, regrettant que la question ait perdu « de sa centralité ».

Perte de crédibilité et d’influence de la France au sein du monde arabe

Selon une source diplomatique interrogée par le reporter français, la note fait le constat d'« une perte de crédibilité et d’influence de la France » et de la détérioration de son image « dans le monde arabe », du fait des récentes positions du président français sur le conflit à Gaza.  Lors de son déplacement en Israël le 24 octobre dernier, le chef de l'État français avait soumis l'idée d'élargir l'objectif de la coalition internationale contre Daech en incluant la lutte contre le Hamas. L'hebdomadaire Marianne rapporte également cette grogne au sein du Quai d'Orsay à l'encontre des prises de positions du président français. Selon un article du 13 novembre, « le sentiment d’être mis à l’écart » est de plus en plus prégnant chez les diplomates, une source du ministère déclarant que le voyage du 24 octobre en Israël a été « la goutte d’eau qui a fait déborder le vase ». Une référence à la réforme du Quai d'Orsay et à son ouverture à des personnes extérieures au ministère des Affaires étrangères, voulue par le président Macron depuis 2019. Même son de cloche dans un article du Monde datant du 8 novembre, qui a fait état de « crispations » et des remous au sein corps diplomatique français. « Il est absurde de ne pas appeler à un cessez-le-feu », s'insurgeait alors un diplomate contacté par le média français. Concernant la politique arabe de la France, il faut remonter au discours de Dominique de Villepin à la tribune de l'ONU le 14 février 2003 pour prendre conscience que Paris avait une voix audible dans la région. Le refus français de participer à la guerre en Irak fut acclamé dans tout le monde arabe, comme lors de l'accrochage de Jacques Chirac avec la police israélienne en 1996, celle-ci ayant empêché le président de s'adresser à des Palestiniens dans les rues de Qods-Est.

Selon ce diplomate, « elle établit une perte de crédibilité et d’influence de la France, et constate la mauvaise image de notre pays dans le monde arabe. Ensuite, sous une forme assez diplomatique, elle laisse entendre que tout cela est le résultat des positions prises par le président de la République ». Sollicités par Le Figaro, trois anciens diplomates chevronnés ont confirmé qu’il s’agissait « d’une démarche collective, sans précédent de la part d’ambassadeurs de France au Moyen-Orient », rappellent Denis Bauchard, Charles Henri d’Aragon et Yves Aubin de la Messuzière, ex-ambassadeurs au Maghreb et au Moyen-Orient. Un autre diplomate, en poste au Quai d’Orsay et proche des contestataires, explique qu’« ils ont pris leurs responsabilités, ils sont solidaires et dans leur esprit, il s’agit d’une première étape ».

Denis Bauchard note que la France a perdu l’image « d’un pays qui avait une position originale au Moyen-Orient », équilibrée entre Israéliens et Palestiniens. « On considère de plus en plus dans les pays arabes que la France est alignée sur les États-Unis et apporte un soutien quasi-inconditionnel à Israël », dit-il.

En fait, ces remarques ont été plusieurs fois abordées par les députés de l’Opposition politique.

« C’est la position historique de la diplomatie française. Elle est partagée par la plupart des États membres des Nations Unies, qui l’expriment régulièrement dans leurs votes lors d’Assemblées générales, par de nombreuses organisations non gouvernementales (ONG), et par des spécialistes du conflit », annonce le site de La France Insoumise.

Dans un article titré « La diplomatie française contrariée par les choix d’Emmanuel Macron sur le Proche-Orient », le quotidien Le Monde souligne : « Le positionnement adopté par le chef de l’État sur la guerre d’Israël contre Gaza, parfois sans concertation avec le Quai d’Orsay, suscite un malaise et des remous au sein du corps diplomatique. »

« Les crispations sont discrètes, jamais exprimées ouvertement, mais bien réelles. Le positionnement d’Emmanuel Macron suscite de l’agacement, voire de vives réserves, au sein de l’appareil diplomatique français. »

Les positions contradictoires et irréfléchies de Macron

Le jeudi 9 novembre, l’Élysée a organisé une « conférence humanitaire sur Gaza », lors de laquelle Macron entendait afficher une forme d’équilibre dans ses positions. Mais les pays arabes n’ont pas participé sérieusement dans cette conférence organisée un peu à l’improviste. « La gestion du conflit, depuis le 7 octobre, suscite un vrai malaise parmi une partie des diplomates. Parmi les plus critiques figurent les personnels de la direction de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient (ANMO), la plus en contact avec les pays de la région, et souvent surnommée la « rue arabe » au sein du Quai d’Orsay. Leur frustration est d’autant plus vive que le conflit alimente en interne le clivage traditionnel avec les tenants d’une ligne très atlantiste, et pro-israélienne », continue l’article du Monde signé par Philippe Ricard, Chef-adjoint du Service International du journal français.

« On s’oppose à ce qui s’apparente à un alignement sur Israël, mais nous n’avons pas moyen de le faire savoir. Il est absurde de ne pas appeler à un cessez-le-feu. Un cessez-le-feu n’est pas une trêve humanitaire, résume un diplomate. Ce qui se passe maintenant aura un impact énorme, pendant des dizaines d’années, sur l’image et la sécurité de la France. La France donne une caution morale et politique à Netanyahu dans sa conduite de la guerre. », ajoute Le Monde.

Ces critiques rappellent l’histoire des relations Paris-Tel-Aviv depuis  le début de la Vᵉ République et la position historique de la France depuis Charles de Gaulle : effectivement héritée de la politique du premier président de la Vᵉ République qui, avec la guerre des Six jours au cours de laquelle Israël, lance une offensive contre l’Égypte ; le président de la République décrète alors un embargo sur la vente d’armes à Israël. Sous Giscard, et en pleine crise pétrolière, le rapprochement de la France avec les pays arabes se poursuit. Le président français reconnaît l’OLP, l’Organisation de Libération de la Palestine, présidée par Yasser Arafat, et la France vote pour l’obtention de son statut d’observateur aux Nations unies. En 1980, Valéry Giscard d’Estaing va plus loin, et reconnaît le droit du peuple palestinien à l’auto-détermination. Sous Jacques Chirac, c’est le retour d’une diplomatie considérée comme pro-arabe.

Le président Macron montre une position différente par rapport à ses prédécesseurs, « Sous Emmanuel Macron, les relations avec Israël restent fluides. Tout en continuant à apporter une aide financière aux territoires palestiniens, le président ne bouge pas d’un iota sur sa position exprimée en 2017 : la France ne reconnaîtra pas de manière unilatérale l’État de Palestine. »

Pour rappel, la France avait au départ soutenu « le droit d'Israël à se défendre » contre ce que le gouvernement israélien d'extrême droite avait qualifié « d'attaque terroriste », menée par le Hamas le 7 octobre, avant de reconnaître, quelques semaines après, la nécessité d'une trêve humanitaire en faveur des civils à Gaza.

Le mot « cessez-le-feu » n'a été prononcé par Macron qu'après plus d'un mois d'hostilités, alors que le bilan macabre avait déjà dépassé les 13.000 morts, côté palestinien, dont plus de 70% étaient des femmes et des enfants.

En guise de conclusion, nous pouvons souligner que le président Macron, suivant ses gestes amateurs de diplomate, contredit souvent les politiques de base de la diplomatie française, suscitant l’incompréhension et le malaise au sein du Quai d’Orsay.

 

Ghorban-Ali Khodabandeh est un journaliste et analyste politique iranien basé à Téhéran.

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SOURCE: FRENCH PRESS TV