Par Xavier Villar
Le président iranien Ebrahim Raïssi a récemment participé à la réunion d'urgence de l'Organisation de la coopération islamique (OCI) qui s'est tenue à Riyad, capitale saoudienne. L’objectif était de prendre une position commune sur le génocide israélien en cours en Palestine.
Le sommet, qui a réuni des représentants des 57 États membres de l'OCI, a pris une importance supplémentaire en offrant un forum aux dirigeants des pays musulmans, malgré les différences politiques qui existent entre eux.
À cet égard, il convient d’évoquer la rencontre entre le président Raïssi et le prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane, marquant la première entrevue de haut niveau entre les deux pays depuis le rétablissement de leurs relations diplomatiques en mars.
Il est également à rappeler la rencontre entre le président Raïssi et son homologue égyptien Abdel Fattah al-Sisi, mettant fin à 10 ans de pause diplomatique entre l'Iran et l'Égypte.
Les dirigeants des pays musulmans ont condamné dans un communiqué final « l'agression israélienne contre la bande de Gaza et les crimes de guerre commis par les sionistes ».
Ils ont également dénoncé les « massacres barbares, inhumains et brutaux » perpétrés par le régime occupant contre le peuple palestinien, exhortant le Conseil de sécurité des Nations unies à prendre « une décision ferme et contraignante » pour mettre fin au carnage à Gaza.
En outre, ils ont appelé la Cour pénale internationale (CPI) à ouvrir une enquête sur les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité commis par le régime de Tel-Aviv contre la population palestinienne.
De son côté, le président iranien a condamné sans équivoque le génocide de Gaza et a exhorté la communauté internationale à boycotter le régime sioniste qu'il a qualifié de « progéniture illégitime des États-Unis ».
Politiquement parlant, compte tenu de la division publique entre amis et ennemis, le président Raïssi a appelé à ce que l'OCI devienne une véritable organisation ummatique qui apporte des réponses politiques pragmatiques à la situation actuelle dans les territoires occupés de la Palestine.
Cette re-politisation de l'OCI selon des lignes ummatiques implique son potentiel à articuler une identité islamique autonome capable de surmonter les divisions créées par l'Occident entre les « bons musulmans » et les « mauvais musulmans », ces derniers étant représentés dans le discours occidental par l'axe de la Résistance, un groupe d’entités s’opposant à la domination politique occidentale dans le monde musulman.
L’appel du président Raïssi à l’action des autres États islamiques pour défendre la Palestine occupée met en évidence, d’une part, la volonté ummatique de la République islamique et, d’autre part, le rôle central de la République islamique d’Iran dans cette configuration.
Ces déclarations soulignent également la division interne au sein même de l'OCI, entre les pays qui perçoivent la résistance contre le sionisme comme une lutte contre un paradigme politique basé sur la domination et l'exclusion, et ceux qui, malgré leurs déclarations de condamnation, ne voient pas la nécessité d'apporter une réponse islamique au génocide en cours en Palestine.
Le rôle essentiel de la Palestine pour la République islamique ne doit pas être négligé. Quinze ans avant la Révolution islamique de 1979, l’imam Khomeiny avait déjà placé la Palestine au cœur de ses préoccupations politiques, la considérant comme l’enjeu le plus important pour le monde musulman.
Dès ses débuts en tant que personnalité publique et politique, l’imam Khomeiny a réussi à institutionnaliser le discours sur la Palestine au sein du mouvement de la Révolution islamique, critiquant le régime Pahlavi, allié d’Israël et des États-Unis.
Cette alliance fut l’une des raisons fondamentales pour lesquelles l’imam Khomeiny s’opposa au Shah.
Force est de constater que l'Iran tire son identité politique de l'interprétation de l'islam donnée par l'imam Khomeiny, le considérant comme la quête de la vérité et de la justice par tous les individus.
Il a défini l’islam comme l’idéologie de ceux qui recherchent la liberté et l’indépendance. Cette interprétation ouvertement politique de l’islam est en conflit avec ce que l’on pourrait appeler la vision apolitique de l’Islam.
Selon l'imam Khomeiny, l’islam apolitique a été promu par les « serviteurs de l'impérialisme » qui, en éliminant le potentiel révolutionnaire de l'islam, l'ont réduit à une simple religion.
Le Leader de la Révolution islamique, l’honorable ayatollah Seyyed Ali Khamenei, a adopté la même démarche, défendant la cause de la Palestine et la considérant comme la question la plus critique pour l’Oumma islamique.
« L’Oumma islamique a besoin de connaître la vérité. Il faut identifier ce qui se passe sur le terrain. La guerre à Gaza n'est pas une guerre entre Gaza et Israël. C'est une guerre entre le mensonge et la vérité, une guerre entre les puissances arrogantes et la foi », a-t-il récemment rappelé dans un discours.
Le poids politique des affirmations du président Raïssi lors du sommet de l'OCI réside dans la nécessité de continuer à assurer la sécurité ontologique de la République islamique.
Cette sécurité ontologique fait référence au sentiment d'ordre, de sécurité et de continuité interne de l'identité d'un sujet ou d'un agent dans un environnement en changement constant, permettant et motivant l'action et les choix politiques.
En d’autres termes, l’Iran se positionne comme garant de l’indépendance politique de l’Oumma islamique face à la domination impérialiste occidentale. Ceci explique l’identité politique spécifique du pays, ainsi que sa relation avec la Palestine.
Une relation qui façonne toute la politique étrangère de la République islamique. La Palestine constitue l’élément le plus crucial autour duquel l’Iran formule toute sa politique régionale.
Par conséquent, les propos du président Raïssi doivent être interprétés comme un exercice de re-politisation, comme on l’a évoqué précédemment.
Ils visent à modifier les cadres épistémiques des autres pays musulmans, en particulier ceux qui ne partagent pas la vision de l’islam de l’imam Khomeiny et ne voient donc pas la nécessité d’une identité islamique comme une condition cruciale de la lutte contre le colonialisme sioniste.
Xavier Villar est docteur en études islamiques et chercheur basé en Espagne.
(Les opinions exprimées dans cet article ne reflètent pas nécessairement celles de Press TV.)