TV
Infos   /   Iran   /   L’INFO EN CONTINU   /   Point de Vue

#ItShallNeverBurn : le discours de Raïssi à l'ONU et le phénomène de l'islamophobie

US Rep. Ilhan Omar (D-MN) (L) talks with Speaker of the House Nancy Pelosi (D-CA) during a rally with fellow Democrats before voting on H.R. 1, or the People Act, on the East Steps of the US Capitol on March 08, 2019 in Washington, DC. (AFP photo)

Par Xavier Villar

Le discours tonitruant du président Ebrahim Raïssi devant l'Assemblée générale de l'ONU, dans lequel il a dénoncé la profanation du Saint Coran et dénoncé l'hypocrisie des gouvernements occidentaux, a inspiré la campagne du site Press TV qui a pris une ampleur mondiale.

Cette campagne mondiale avec le hashtag #ItShallNeverBurn transmet succinctement le message selon lequel le livre sacré musulman ne peut être profané car il est éternel et immortel.

Le président Raïssi réagissait à une série d’incidents d’autodafés du noble Coran survenus en Suède et au Danemark et avec l’aval donné et la protection des auteurs des crimes assurés par les deux États européennes ; événements ayant suscité la colère et l’indignation du monde musulman tout entier.

Il convient de noter qu’il ne s’agit pas d’incidents isolés d’autodafés du noble Coran en Occident. En 2010, le pasteur américain Terry Jones a organisé la « Journée internationale pour brûler un Coran », un événement qui a finalement été annulé en raison de fortes oppositions.

L’incendie des copies du Saint Coran peut surprendre celui qui ignore ou quoi fait fi d’ignorer la tendance islamophobe qui rôde dans les pays occidentaux et qui ne relève ni plus ni moins que du racisme. 

Le racisme ne tourne pas simplement autour de la croyance selon laquelle les humains sont divisés en « races », ni elle se limite à l’idéologie qui affirme la supériorité d’une race sur les autres.

Il s’agit plutôt d’une forme de gouvernementalité. La gouvernementalité basée sur le racisme implique que l’aspect crucial est la manière dont les populations sont organisées, disciplinées et régulées.

La réaction des musulmans face à l’incendie des copies du Coran permet d’analyser les deux positions antagonistes que l’on retrouve au sein de l’Oumma.

D’un côté, nous avons ces musulmans qui adoptent une position que l’on pourrait qualifier de « politique de condamnation ». A l’inverse, il existe des populations musulmanes qui optent pour une « politique de rejet ».

La première de ces positions politiques représente une incarnation de la politique de respectabilité qui est activée après chaque événement violent et moralement discutable impliquant des musulmans.

La seconde vise à apaiser la population non musulmane, qui se retrouve souvent dans un état d'anxiété constant en raison de la présence publique et politique de la communauté musulmane  à ses cotés et au sein de sa société.  Dans le contexte spécifique de l'autodafé du saint Coran, cette « politique de condamnation » implique qu’un  « bon musulman » selon les Occidentaux doit lui-même  dénoncer publiquement les autres musulmans qui, en raison de leur manque « d'objectivité et de rationalité » selon lui et ses précepteurs occidentaux n'acceptent  les conventions politiques et sociales qui règnent dans les sociétés occidentales dites modernes et libérales.

Cette division entre le « bon musulman » et le « mauvais musulman » perpétue l’illusion du multiculturalisme et de la tolérance en Occident.

Mais en réalité, cette dichotomie génère systématiquement un discours qui promeut l’idée d’une communauté nationale sans divisions. En d’autres termes, le « bon musulman », dans son rôle d’intermédiaire politique de l’Occident, soutient l’idée que le racisme est simplement une question de manque de connaissances ou que l’islamophobie peut être résolue par une meilleure éducation.

Dans le même temps, ce « bon musulman » ou mieux dit, le musulman que tolère l’Occident discipline le reste de la communauté musulmane en insistant constamment sur la nécessité de respecter la tolérance et la coexistence, sans tenir compte des fondements raciaux sur lesquels repose cette prétendue tolérance.

Le rôle du « bon musulman » empêche de comprendre que la possibilité d'accéder à l'État-nation, toujours de manière temporaire et contingente, a été construite en rejetant l'action politique des musulmans. La fonction du « bon musulman » est d’identifier toute déviation qui s’écarte de la docilité  en la qualifiant de radicalisation.

En conséquence, l’islam, en tant qu’identité politique, s’affaiblit progressivement à mesure qu’il est tenu de démontrer ses aspirations civilisationnelles sous un examen minutieux axé sur les droits de l’homme, les droits des femmes et la laïcité, qui sont tous utilisés pour rechercher des signes de modernité.

Pour en revenir à la campagne #ItShallNeverBurn, deux objectifs spécifiques peuvent être identifiés ici : d'une part, la dénonciation concrète de l'autodafé du Coran, et de l'autre, l'articulation d'une position politique qui s'aligne sur la « politique de rejet ».

Il s’agit d’une tentative de continuer à repolitiser l’islam tout en maintenant le rejet de l’hégémonie occidentale.

Les deux positions que l'on retrouve au sein de l’Oumma, soutiennent également deux lectures du Coran : d'une part, la lecture qui considère le Coran comme un texte sacré limité à servir de guide moral, et d'autre part de l’autre, un texte sacré et politique qui continue d’inspirer les musulmans dans leur lutte contre l’oppression sous ses diverses formes et manifestations.

C'est cette seconde lecture qui correspond à la campagne lancée par le site PressTV, qui empêche l'islam de devenir une pièce de musée sans capacité d'influence politique sur le monde.

Xavier Villar est docteur, titulaire d'un doctorat en études islamiques et chercheur qui partage son temps entre l'Espagne et l'Iran.

(Les opinions exprimées dans cet article ne reflètent pas nécessairement celles de Press TV)

Partager Cet Article
SOURCE: FRENCH PRESS TV