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Les Africains réécrivent l’histoire à l’heure du multilatéralisme

US Rep. Ilhan Omar (D-MN) (L) talks with Speaker of the House Nancy Pelosi (D-CA) during a rally with fellow Democrats before voting on H.R. 1, or the People Act, on the East Steps of the US Capitol on March 08, 2019 in Washington, DC. (AFP photo)
Manifestation contre les forces françaises et onusiennes basées au Mali, le 10 janvier 2020 à Bamako. ©Getty Images

Par Ghorban-Ali Khodabandeh

Les Africains ont depuis longtemps tourné le dos à la France qui a été à l’origine de l’agression contre la Libye dont le président avait mis en avant un soi-disant plan pour une Afrique indépendante.

Curieusement, la France est actuellement en train de sortir de l'histoire de l'Afrique, contrairement aux déclarations de l'ex-président français Nicolas Sarkozy qui insinuait lors d'un discours sur le sol sénégalais que l'Afrique n'était pas rentrée dans l'histoire.

Depuis plusieurs années, la France, ancienne puissance coloniale, est devenue indésirable au Sahel, région qui s'étend du Sénégal au Tchad. L'armée française a été chassée du Burkina Faso et du Mali et l'opération Barkhane, lancée en 2014 pour prétendument lutter contre le terrorisme, a été contrainte de se replier au Niger à l'été 2022. Profitant de cette situation, d’autres puissances en l’occurrence la Russie, continuent d'étendre leur influence et de se présenter comme un partenaire politique, économique et sécuritaire idéal.

Le sentiment pro-russe n'est pas nouveau au Sahel. Durant la période des décolonisations, à partir des années 1950, l'URSS a noué des liens étroits avec plusieurs pays africains et les a soutenus dans leur lutte pour l'indépendance.

« Pour les populations d'Afrique francophone, la France mène une sorte de double jeu. Elle dit lutter contre le terrorisme, mais de nombreuses personnes pensent au contraire qu'elle le soutient », constate Alain Antil, chercheur et directeur du Centre Afrique subsaharienne de l'Institut français des relations internationales. L'échec de l'opération Barkhane pour réduire les groupes terroristes dans la région est imputé, par exemple, à un « agenda caché » qu'aurait Paris.

Les raisons du rejet de la France par les Africains sont entre autres le pillage du continent, le mépris des peuples africains, la déstabilisation des pays africains, alors que les Africains exigent que les relations entre la France et l'Afrique doivent être équitables et dans le cadre du respect de l'indépendance des peuples africains.

Force est de constater qu'en deux siècles de présence coloniale française en Afrique, il y a très peu d'infrastructures, d'actions pour le développement de l'Afrique.

Le retour de la Russie et de la Chine a au contraire contribué au développement du Continent noir, en construisant des routes, des chemins de fer, des barrages, des écoles et en aidant l'agriculture. En d’autres termes, la présence sino-russe s’inscrit dans le cadre d’un partenariat gagnant-gagnant et non pas pour piller l'uranium du Niger, l'or du Mali ou les richesses du Congo.

Sur le plan militaire, l'opération Barkhane est une défaite cinglante. La réalité est que la France a été chassée du Mali, du Burkina Faso et bientôt elle sera chassée du Niger. En plus, la France n'est plus souveraine et indépendante, elle est suiviste vis-à-vis des États-Unis.

La Russie a cherché à renforcer ses liens économiques et diplomatiques avec l'Afrique, faisant concurrence dans certains pays à la France, ex-puissance coloniale sur ce continent.

La Russie a notamment organisé fin juillet un deuxième sommet Russie-Afrique, à Saint-Pétersbourg, un moyen d'afficher son entente avec ses partenaires africains malgré le conflit en Ukraine.

À l’issue de ce sommet, le Kremlin a publié le plan global de développement de la coopération entre la Russie et des pays africains pour les trois ans à venir.

Selon ce plan d’action, la Russie et l’Afrique ont convenu de renforcer le dialogue, le partenariat et la coopération dans un large éventail de domaines, y compris la coopération dans les domaines de la politique et de la sécurité, de l'économie et des questions humanitaires.

Au dernier jour du sommet Russie-Afrique à Saint-Pétersbourg, le président russe Vladimir Poutine a déclaré que Moscou et les 49 pays représentés s’engageaient, dans le cadre du « multilatéralisme » qu’ils promeuvent, à lutter contre le «néocolonialisme».

Lors de ce sommet, la Russie a une nouvelle fois assuré qu'elle voulait entretenir des relations égalitaires avec l'Afrique. Vladimir Poutine a loué un nouvel « ordre mondial multipolaire » sans « néocolonialisme. « La Russie est à l'écoute de nos besoins réels, elle ne nous impose rien en contrepartie. Elle ne déploie pas de militaires sur notre terrain et si on a besoin d'armes, elle nous en donne », assurait Yssoufou Niamba, panafricaniste burkinabé.

La déclaration adoptée à l'issue de ce sommet prévoit notamment, en plus d’une coopération accrue dans les domaines de l'approvisionnement alimentaire, de l'énergie et de l'aide au développement, que Moscou aidera les pays africains à « obtenir réparation pour les dégâts économiques et humanitaires causés par les politiques coloniales » occidentales, y compris « la restitution des biens culturels » pillés.

Dans sa volonté d’aider les pays africains, Moscou entend également leur permettre d’acquérir plus de poids sur la scène internationale, plaidant pour une réforme du Conseil de sécurité de l’ONU en leur faveur et une intégration de l’Union africaine au sein du G20.

Moscou défend également un modèle qui plaît à une partie des opinions publiques au Sahel. Elle prône des valeurs sociales et familiales traditionnelles, en opposition avec les démocraties libérales perçues comme décadentes.

Le président français Emmanuel Macron a accusé la Russie d'être « une puissance de déstabilisation de l'Afrique », lors d'un entretien sur France 24 en marge du sommet de Paris, le Kremlin assurant de son côté y développer des « relations constructives ».

Selon lui, « la Russie s'est mise de son propre chef dans une situation qui est de ne plus respecter le droit international, de redevenir au fond l'une des seules puissances coloniales du XXIᵉ siècle, en menant une guerre d'empire auprès de son voisin, l'Ukraine ».

Le Kremlin a rapidement balayé ces accusations, assurant développer en Afrique « des relations constructives » avec les pays du continent.

La Russie développe avec les pays africains des relations amicales, constructives, basées sur le respect mutuel, a affirmé à la presse le porte-parole de la présidence russe, Dmitri Peskov.

En Afrique, la Russie s'efforce d'attirer dans son camp les dirigeants africains en affirmant se dresser en rempart contre l'impérialisme et en accusant l'Occident de bloquer avec ses sanctions les exportations de céréales et des engrais russes essentiels à de nombreux pays.

Ces dernières années, la Chine s'est imposée également dans plusieurs pays sur le continent africain où ses entreprises mènent des activités commerciales. La Chine a déjà organisé de nombreux sommets avec les dirigeants africains par le passé. Aussi, l'empire du milieu s'est imposé comme un acteur majeur en Afrique, notamment à travers son initiative « la Ceinture et la Route ». La Chine a également investi massivement dans des projets d'infrastructures en Afrique et se positionne comme l'un des principaux partenaires commerciaux de nombreux pays du continent.

Le continent africain est devenu un marché attractif pour les puissances de notre planète en raison de son potentiel économique, de ses ressources naturelles abondantes et de sa population jeune et en pleine croissance.

Dans ce contexte, le Sommet de Saint-Pétersbourg est une opportunité pour tracer ensemble les contours d’un espace commun de prospérité, de stabilité et de sécurité. Il reste entendu que ce cadre rénové sera élaboré sur la base des principes de respect mutuel, des relations d’égal à égal et des intérêts partagés au bénéfice des populations africaines.

Au deuxième sommet Russie-Afrique, à Saint-Pétersbourg, le président de la Transition, le Colonel Assimi Goïta, tout en soulignant la spécificité du partenariat russo-malien, a réaffirmé l’attachement du Mali à un monde multipolaire. Le président Goïta a également réitéré son soutien à l’initiative des BRICS en tant qu’alternative à un ordre international fondé sur la domination et la marginalisation. Par conséquent, le Mali soutient des initiatives telles que la création d’une banque de développement pour le financement des infrastructures ainsi que les moyens et mécanismes nouveaux de paiement internationaux.

Les partenariats avec ces puissances offrent des opportunités de croissance, de développement et de prospérité pour l'Afrique, tout en permettant aux pays partenaires de bénéficier des avantages d'une coopération mutuellement bénéfique.

La Russie est de retour, la Chine aussi et tout cela au détriment de la France et de l’Occident en général. La conscience africaine et le désir d'indépendance des peuples africains est de nouveau à l'honneur. L’heure de vérité a sonné pour les dirigeants français.

Ghorban-Ali Khodabandeh est un journaliste indépendant et analyste politique iranien basé à Téhéran.

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SOURCE: FRENCH PRESS TV