Par Xavier Villar
Le président iranien Ebrahim Raïssi effectue actuellement sa première tournée au Venezuela, au Nicaragua et à Cuba, accompagné d'une délégation ministérielle de haut niveau, dans le but d'élargir la coopération économique, politique et scientifique avec l'Iran.
Plusieurs experts ont souligné que cette visite vise à mettre en évidence les similitudes entre la République islamique et les trois pays d'Amérique latine, notamment dans leur position politique vis-à-vis de l'Occident.
Il est important ici d'expliquer les similitudes politiques entre eux d'un point de vue historique en mettant l'accent sur le lien entre l'idéologie occidentale et le colonialisme.
Pour comprendre la critique du projet colonial dans une perspective extérieure au discours occidental, il est essentiel de saisir cette relation ontologique entre l'Occident et le colonialisme.
Cette perspective à long terme met en évidence l'existence d'une géographie de la violence qui relie diverses luttes, avec leurs particularités locales, dans une lutte commune contre la terreur raciale, le capitalisme mondial et la violence envahissante du discours occidental.
La géographie de la violence générée par la combinaison inséparable de l'idéologie occidentale et du colonialisme a été et continue d'être justifiée par beaucoup comme une supériorité épistémique supposée de l'Occident, plutôt que d’être reconnue comme un fondement lié au pouvoir et à la violence.
Le récit occidental lui-même explique avec bienveillance ses origines, occultant les multiples formes de violence qui ont façonné cette géographie de la violence.
La géographie de la violence créée par la grammaire occidentale englobe diverses épistémologies et visions politiques.
Pourtant, elles sont toutes reconnues à travers ce que l'homme politique et écrivain martiniquais Aimé Césaire appelle « la boussole de la souffrance ».
En d'autres termes, les diverses possibilités politiques, issues de lieux et de traditions politiques différents ont été brutalement affectées par l'influence occidentale.
La résistance à l'hégémonie occidentale, dans laquelle s'inscrit la visite du président Raïssi en Amérique latine, ne peut consister à homogénéiser les réponses politiques, car cela perpétuerait la « Westernesse » comme discours politique dominant.
Cela nous amène à une analyse de la différence entre multilatéralisme et post-Westernesse.
Un multilatéralisme qui n'implique pas le démantèlement de l'ordre politique créé par la Westernesse ne conduira pas à une véritable libération et reconfiguration de ce que nous avons appelé la géographie de la violence.
D'autre part, la post-Westernesse est l'horizon qui doit guider tous ces peuples qui se reconnaissent comme alliés et qui utilisent la boussole de la souffrance pour distinguer publiquement amis et ennemis.
Cette vision post-Westernesse est clairement identifiée à la fois dans la Révolution islamique et dans la politique étrangère actuelle de la République islamique d'Iran.
Cette politique étrangère vise à connecter politiquement les divers peuples habitant la géographie de la violence avec l'intention de créer de nouvelles possibilités politiques qui transcendent l'hégémonie de Westernesse.
Une autre façon d'expliquer cela est que la mostazafine, « l'autre » islamique de l'Occident, peut construire non seulement des solidarités intra-ummatiques mais aussi des solidarités extra-ummatiques.
La visite du président Raïssi s'inscrit dans cette quête de solidarités extra-ummatiques, en l'occurrence l'Amérique latine.
L'Iran a observé un net déclin de l'hégémonie américaine en Asie de l’Ouest. Un exemple frappant de ce revers est le rétablissement des liens entre l'Arabie saoudite et l'Iran il y a quelques mois.
Le fait que l'un des principaux alliés des États-Unis dans la région reconnaisse que cette alliance ne garantit pas la stabilité régionale ni la sécurité intérieure de l'Arabie saoudite indique clairement la fin de l'hégémonie occidentale dans la région.
La République islamique comprend que le démantèlement de la Westernesse et de l'oppression qui lui est associée n'est possible qu'à travers une vision large et pragmatique qui rassemble différentes articulations politiques dans une lutte unifiée.
Cela ne signifie pas créer une identité politique unique qui efface, par exemple, l'horizon islamique de l'Iran.
La visite d'Ebrahim Raïssi à Cuba, au Venezuela et au Nicaragua peut également être vue comme un autre élément qui contredit la théorie de la « fin de l'histoire » proposée par le politologue américain Francis Fukuyama.
En 1992, Francis Fukuyama écrivait : « Ce à quoi nous assistons peut-être n'est pas seulement la fin de la guerre froide ou le passage d'une période particulière de l'histoire d'après-guerre, mais la fin de l'histoire en tant que telle... C'est-à-dire le point final de l'évolution idéologique de l'humanité et l'universalisation de la démocratie libérale occidentale en tant que forme finale de gouvernement humain. »
S'il est vrai que Fukuyama a depuis nuancé ses opinions, l'idée de « fin de l'histoire » est devenue un dogme politique pour ceux qui, au sein de la Westernesse, croyaient que la grammaire occidentale était la seule possibilité légitime d'aborder les questions politiques.
Le concept de « fin de l'histoire » impliquait la perpétuation à l'infini de l'horizon Westernesse. C'est pourquoi les solidarités entre les divers peuples qui ont souffert et continuent de souffrir à cause de cet horizon même sont essentielles pour démontrer deux choses.
Premièrement, le projet libéral de la « fin de l'histoire » n'était qu'un désir et non une réalité politique. Et deuxièmement, nous sommes déjà dans la période post-Westernesse.
Xavier Villar est docteur en études islamiques et chercheur qui partage son temps entre l'Espagne et l'Iran.
(Les opinions exprimées dans cet article ne reflètent pas nécessairement celles de Press TV)