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Le refus par l’Afghanistan des droits de l’Iran sur l’eau détruit l’agriculture et les zones humides

US Rep. Ilhan Omar (D-MN) (L) talks with Speaker of the House Nancy Pelosi (D-CA) during a rally with fellow Democrats before voting on H.R. 1, or the People Act, on the East Steps of the US Capitol on March 08, 2019 in Washington, DC. (AFP photo)

Par Maryam Qarehgozlou

Alors que le différend de longue date sur l’eau entre l’Iran et l’Afghanistan s’éternise, les experts avertissent qu’il pèse lourdement sur l’agriculture et les masses d’eau, en particulier dans les zones humides du sud-ouest de l’Iran.

La question du non-respect par l’Afghanistan du traité de partage de l’eau de 1973 et du refus des droits de l’Iran sur l’eau en vertu du pacte est revenue sur le devant de la scène.

De hauts responsables iraniens, dont le président Ebrahim Raïssi et le ministre des Affaires étrangères Hossein Amir-Abdollahian, ont vigoureusement averti dans des communiqués séparés le gouvernement taliban de facto à Kaboul de régler l’affaire qui a longtemps été une pomme de discorde entre les deux voisins.

Le différend a souvent alimenté les tensions politiques et diplomatiques entre Téhéran et Kaboul, principalement en raison de l’impact désastreux qu’il a sur les masses d’eau et l’agriculture en Iran.

Des experts en environnement ont déclaré au site Web anglophone iranien Press TV que la violation des droits de l’Iran sur l’eau de la rivière Hirmand, également connue sous le nom de rivière Helmand, avait touché l’agriculture et rendu la région frontalière stérile.

Les deux pays voisins sont depuis très longtemps aux prises avec le problème des faibles précipitations. Le différend sur les ressources en eau partagées n’a fait qu’aggraver la situation, notamment en Iran.

Behnam Andik, qui a fait un doctorat en ressources en eau et en génie de l’environnement à l’Université de Téhéran a déclaré au site Web Press TV que l’impact funeste de la pénurie d’eau « ne connaît pas de frontières politiques ».

« La pénurie de l’eau a affecté à la fois la région du Sistan en Iran et la province de Nimroz en Afghanistan, et par conséquent, les zones humides internationales de Hamoun disparaissent et l’agriculture est presque morte », a-t-il fait remarquer, brossant un sombre tableau de la situation actuelle.

Le cas de la rivière Hirmand

La rivière Hirmand qui émerge dans les montagnes de l’Hindou Kouch en Afghanistan près de la capitale afghane, Kaboul, alimente le Hamoun et les zones humides transfrontalières aux frontières irano-afghanes.

Le Hamoun est composé de trois lacs : Hamoun-e Helmand, situé entièrement en Iran, Hamoun-e Sabari à la frontière, et Hamoun-e Puzak, presque entièrement à l’intérieur de l’Afghanistan.

Le conflit sur les droits d’accès à l’eau de la rivière Hirmand remonte à la fin des années 1800. Comme l’Afghanistan n’a pas ratifié un traité de 1939 sur le partage de l’eau, les deux pays se sont retrouvés mêlés à une dispute amère qui s’est poursuivie pendant un autre siècle.

En 1973, les deux parties ont finalement convenu d’un débit d’eau de vingt-six mètres cubes par seconde vers l’Iran, ce qui équivaut à 820 millions de mètres cubes d’eau par an.

Le traité a été ratifié par les deux pays en 1972, mais n’a pas été pleinement mis en œuvre en raison de l’évolution politique dans les deux pays, notamment le coup d’État politique de 1973 en Afghanistan.

Cependant, un accord bilatéral a été signé par les deux parties en 2003 pour mettre en œuvre le traité. L’Afghanistan, cependant, a de nouveau échoué à honorer le traité et a refusé à l’Iran ses droits sur l’eau.

Dans une interview accordée à la chaîne de télévision publique iranienne mardi, l’envoyé spécial du président iranien pour les affaires afghanes, Hassan Kazemi Qomi, a déclaré que le traité était une « affaire juridique » à laquelle le gouvernement afghan est attaché et doit montrer son adhésion dans la lettre et l’esprit.

Il a précisé que seulement 27 millions de mètres cubes d’eau ont atteint l’Iran l’année dernière au lieu des 820 millions de mètres cubes que le pays devrait recevoir en vertu de l’accord de 1973.

Actuellement, environ 60 000 hectares de zones humides dans la région de Hamoun en Iran sont protégés par la Convention de Ramsar, qui est un traité intergouvernemental qui fournit le cadre pour la conservation et l’utilisation rationnelle des zones humides et de leurs ressources.

Problèmes environnementaux

Malgré cela, les difficultés environnementales associées aux projets de construction de barrages en Afghanistan ont aggravé les pénuries d’eau dans la province du Sistan-et-Baloutchistan, dans le sud-est de l’Iran, pendant des décennies, car elle ne reçoit pas sa part d’eau du fleuve.

« Depuis 2001, l’Afghanistan a annoncé des plans pour la construction d’au moins 104 nouveaux barrages », a fait part Andik. Les plans comprennent la construction de 35 barrages sur la rivière Hirmand, ce qui réduit directement l’approvisionnement en eau de l’Iran.

Une courte vidéo publiée sur le compte Twitter officiel de l’Institut de l’eau, de l’environnement et de la santé de l’Université des Nations unies montre la baisse drastique des niveaux d’eau dans les réservoirs de Chah-Nimeh dans la partie iranienne du bassin de la rivière Hirmand de 2016 à 2023.

Les réservoirs de Chah-Nimeh sont de grands trous naturels dans la province du Sistan-et-Baloutchistan. L’eau de la rivière Hirmand est dirigée dans ces trous. Ce sont les principales sources d’eau potable des villes de Zabol, Zahak et Zahedan.

« La mort de Hamoun équivaut à la mort de toute la région », a averti Andik. « Le lit aride du lac pourrait sans aucun doute aggraver les effets du vent fort qui souffle pendant 120 jours chaque été dans la région ».

« Les vents provoquent des tempêtes de sable et de poussière débilitantes, et comme les particules de poussière peuvent voler sur plus de 500 kilomètres, elles peuvent affecter le sud et le sud-ouest de l’Afghanistan et même le nord-ouest du Pakistan ».

Actuellement, le bassin du Sistan est l’un des principaux points chauds en termes d’émissions de poussières minérales, selon un rapport de 2021 du Centre Asie Pacifique pour le développement de la gestion de l’information sur les catastrophes (CAPGIC).

Le rapport, évaluant les risques posés par les tempêtes de sable et de poussière dans la région Asie-Pacifique, estime que les coûts des dommages causés par la poussière aux installations électriques dans la région du Sistan, y compris le nettoyage et les réparations, se sont élevés à environ 650 000 dollars américains sur la période 2000-2004.

« Avec un coût supplémentaire dû aux pannes de près de 50 000 dollars sur la même période, le coût total des alimentations électriques s’est élevé à 0,69 million de dollars USD sur les cinq ans », a-t-il ajouté.

Impact sur l’agriculture

Selon le rapport du CAPGIC, environ 15 % des terres agricoles iraniennes sont également exposées à des dépôts de poussière qui peuvent nuire aux cultures et avoir un impact négatif important sur la production agricole.

Alors que la majorité de la population de la région est composée de pêcheurs, d’éleveurs ou d’agriculteurs, leur gagne-pain dépend du Hamoun, et son épuisement les oblige à se déplacer vers d’autres parties du pays à la recherche d’emplois, laissant des villages inhabités.

« La pénurie d’eau entrave le développement économique et social de la province et entraîne le déplacement de la population, non seulement en Iran, mais aussi au Pakistan et en Afghanistan », a déploré Andil.

L’Institut d’études géologiques des États-Unis indique que le débit annuel moyen dans le bassin de la rivière Hirmand est d’environ 6,12 millions de mégalitres (millions de mètres cubes).

« L’Iran n’a droit qu’à 820 millions de mètres cubes du débit annuel de la rivière Hirmand et non au bassin qui n’est pas entièrement fourni », a expliqué Andik.

« Sur la base du traité de 1973, la part annuelle de l’eau de l’Iran dans le Hirmand est destinée à la consommation et à l’agriculture, cependant, l’Afghanistan, comme tout autre pays, est tenu de fournir aux zones humides leurs droits sur l’eau pour les empêcher de se transformer en salines sans vie ».

L’Iran poursuit ses droits à l’eau

Ces dernières semaines, des responsables iraniens de haut rang ont exhorté le gouvernement taliban de facto en Afghanistan à montrer son engagement envers le pacte de partage de l’eau et à honorer les droits de l’Iran sur l’eau.

Jeudi, le président iranien Ebrahim Raïssi, lors de sa visite à Chabahar, une ville portuaire de la province du Sistan-et-Baloutchistan, a averti les autorités talibanes de prendre des mesures urgentes et de fournir la part de l’eau à l’Iran.

« J’avertis les autorités et les dirigeants de l’Afghanistan de respecter rapidement les droits des habitants de la province du Sistan-et-Baloutchistan et de la région du Sistan », a-t-il réitéré.

« Si nos experts confirment le manque d’eau, nous n’avons rien d’autre à dire ; sinon, nous ne permettrons pas que les droits de notre peuple soient violés », a-t-il entériné.

Le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir-abdollahian, s’est entretenu au téléphone le mercredi 17 mai avec Amir Khan Muttaqi, ministre des Affaires étrangères par intérim du gouvernement taliban de facto, sur les droits de l’Iran sur l’eau de Hirmand et d’autres questions bilatérales mettant l’accent sur la part de l’eau du pays.

Muttaqi, pour sa part, a souligné que l’Afghanistan respecte le traité de 1973 et qu’il s’efforce de régler les problèmes techniques à cet égard.

Lors d’une visite dans la province du Sistan-et-Baloutchistan jeudi, Amir-Abdollahian a déclaré que sur la base du traité de 1973, l’Iran avait un « droit naturel » sur l’eau de la rivière Hirmand et que Téhéran « poursuivrait sérieusement » l’affaire.

« Si nécessaire, des outils de pression seront utilisés contre cette partie de l’instance dirigeante de l’Afghanistan qui refuse d’accorder à l’Iran ses droits sur l’eau », a-t-il souligné.

Plus tard, dans un tweet, Amir-Abdollahian a critiqué le gouvernement taliban pour ne pas avoir autorisé une équipe d’experts à se rendre dans la région pour ouvrir une enquête sur les allégations concernant la pénurie d’eau dans le bassin de la rivière Hirmand.

« Au cours des derniers mois, j’ai demandé à plusieurs reprises à Muttaqi, le ministre afghan des Affaires étrangères par intérim, d’agir conformément au traité de Hirmand [1973] et de laisser les délégations techniques inspecter le niveau de l’eau, mais ils ne l’ont pas fait, le Sistan est frappé par le courant d’air, ce qui compte, c’est une inspection technique et non des déclarations politiques.

La sécheresse utilisée comme prétexte

Selon Andik, alors que l’Afghanistan, à peu près comme l’Iran, a été touché par de longues périodes de sécheresse, des études menées par des chercheurs afghans montrent que depuis la dernière « grave sécheresse » en 2001, les précipitations ont été « presque normales » dans le bassin de la rivière Hirmand.

« Comme ce qui a été évoqué dans le traité [1973] signé entre l’Iran et l’Afghanistan, la province du Sistan-et-Baloutchistan se réserve le droit de bénéficier d’eau spécifié pendant les années d’eau normales », a-t-il indiqué au site Web de Press TV.

« Sur la base des indices ISP, donnés dans les recherches menées par les chercheurs afghans eux-mêmes, au cours des 20 dernières années, les niveaux moyens de précipitations n’ont pas beaucoup varié. »

L’indice standardisé des précipitations (ISP) est un indice largement utilisé pour caractériser la sécheresse météorologique sur une gamme d’échelles de temps.

Changement des précipitations dans tous les bassins fluviaux de l’Afghanistan

Il y a des spéculations selon lesquelles l’Afghanistan utilise les périodes de sécheresse et la pénurie d’eau comme prétexte pour ne pas mettre en œuvre le traité de 1973 et ne pas fournir à l’Iran sa part d’eau du bassin de la rivière Hirmand.

Une vidéo publiée par Andik sur son compte Twitter comprend des images satellites prises du barrage de Kajaki sur la rivière Hirmand de la mi-décembre à la mi-mai. Cela montre clairement que l’approvisionnement en eau du barrage a augmenté de jour en jour, ce qui prouve encore une fois que ce que disent les talibans à propos de la sécheresse ne tient pas la route.

Jeudi, Hossein Dalirian, porte-parole de l’Agence spatiale iranienne, a déclaré dans un tweet que les images capturées par le satellite Khayyam de fabrication iranienne montrent que le gouvernement afghan a empêché l’eau d’atteindre le côté iranien de la frontière à certains endroits en créant de nombreux barrages et en détournant l’écoulement de l’eau.

En août dernier, le ministère iranien de l’Environnement a annoncé que le gouvernement taliban de Kaboul détournait l’eau stockée derrière le barrage de Kamal Khan sur la rivière Hirmand vers la dépression de Godzareh, au lieu de fournir la part d’eau pour les zones humides de Hamoun.

Pendant ce temps, dans un communiqué publié vendredi, les autorités talibanes ont annoncé qu’il n’y avait pas assez d’eau derrière le barrage de Kamal Khan pour se déverser dans Hamoun.

Hojjat Mianabadi, un doctorat dans Hydropolitics, Water Diplomacy, and Water Conflict Management, a déclaré vendredi dans un tweet que le barrage de Kamal Khan, d’une capacité de stockage de 52 millions de mètres cubes, est un barrage de dérivation.

Un barrage de dérivation, comme son nom l’indique, détourne tout ou partie du débit d’une rivière de son cours naturel vers un cours d’eau artificiel, un canal, une autre rivière, etc., à des fins d’irrigation ou de production d’électricité.

Par conséquent, a expliqué Mianabadi, scientifiquement, le manque d’eau derrière un barrage de dérivation ne corrobore pas les affirmations concernant les périodes de sécheresse en Afghanistan.

« Même ainsi, les périodes de sécheresse ne justifient pas la violation du traité par les talibans », a-t-il dit, ajoutant que sur la base du traité les années où la sécheresse frappe, la part d’eau de l’Iran devrait diminuer en conséquence, plutôt que de couper complètement.

« Pas de compromis » sur le partage de l’eau

Dimanche, le président du Parlement iranien, Mohammad Baqer Qalibaf, a déclaré dans un communiqué ferme qu’il n’y aurait « aucun compromis » sur la part de l’eau de l’Iran dans le fleuve Hirmand.

Qalibaf a exhorté les autorités afghanes « à apporter une réponse constructive à la volonté positive de l’Iran à cet égard et à prévenir un grave problème dans les relations bilatérales compte tenu des réserves d’eau suffisantes sur le sol afghan ».

Le ministre iranien de l’Énergie, Ali Akbar Mehrabian, a également déclaré vendredi qu’étant donné l’approvisionnement en eau stockée dans le barrage de Kajaki et les termes du traité de 1973, l’Afghanistan est obligé de fournir la part d’eau de l’Iran.

« L’eau est disponible en amont et nos données ainsi que les données internationales confirment que les dirigeants afghans ont également confirmé qu’il y a un approvisionnement en eau dans le barrage de Kajaki », a-t-il fait remarquer.

Il a déclaré que si l’Afghanistan n’a pas violé le traité et n’a pas ajouté de constructions pour détourner le flux d’eau, il n’y a plus de problèmes techniques pour empêcher l’eau de remplir la zone humide de Hamoun en Iran.

Vendredi, l’ambassadeur d’Iran à Kaboul Hassan Kazemi Qomi a déclaré que le gouvernement taliban afghan devait s’engager à respecter le traité de 1973 et fournir à l’Iran sa part d’eau du fleuve Hirmand dans un délai d’un mois.

« S’il est prouvé qu’il y a suffisamment d’eau dans les barrages construits sur le fleuve Hirmand et que les talibans ont refusé de la fournir, le gouvernement iranien sait comment défendre ses droits », a-t-il averti.

Maryam Qarehgozlou est une journaliste basée à Téhéran qui couvre les questions liées à l’environnement, à la santé, à la technologie et aux affaires du Moyen-Orient depuis 2015.

(Les opinions exprimées dans cet article ne reflètent pas nécessairement celles de Press TV)

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SOURCE: FRENCH PRESS TV