Par Xavier Villar
Le magazine français controversé Charlie Hebdo a récemment publié des caricatures désobligeantes représentant la plus haute autorité religieuse et politique de la République islamique d'Iran, qui ont été largement condamnées dans le pays et dans le monde. Cet acte imprudent a créé une crise diplomatique entre la France et l'Iran, poussant des milliers de jeunes iraniens à se rassembler devant l'ambassade de France à Téhéran en signe de protestation.
Il ne s'agit pas ici de nier l'importance de l'ironie, ni la portée de la satire, mais d'éclairer les éléments discursifs qui constituent l'idéologie de Charlie Hebdo.
Il faut commencer par une analyse de la construction d'un sujet musulman comme irrationnel, en besoin permanent de modernisation – une modernisation qui viendra de l'Occident – et, bien sûr, de sécularisation.
À partir de cette construction idéologique, un musulman est vu comme incapable de discours rationnel, et donc, sans bonne connaissance de la « liberté d'expression », valeur sacrée dans les sociétés modernes.
Dans la lignée de cet argument, on peut dire que si un musulman ose critiquer le célèbre magazine français, il sera ignoré en raison de sa condition de musulman, une condition politique qui expulse les musulmans - physiquement et idéologiquement - du domaine de la raison.
Encore une fois, la vraie question en jeu ici n'est pas la défense de la « liberté d'expression ». La vraie question a à voir avec le pouvoir, avec une minorité – une minorité en termes de pouvoir – constamment harcelée par ceux qui ont ou qui sont au pouvoir.
Charlie Hebdo a une longue histoire de coups contre les musulmans. Personne ne peut nier que le magazine appartient au paradigme hégémonique – un paradigme qui présente les musulmans comme « l'autre » permanent.
Personne ne peut nier que les rédacteurs en chef du magazine ont été la cible d'un attentat terroriste. Mais les mêmes éditeurs faisaient et font toujours partie d'une communauté discursive qui considère les musulmans comme un corps étranger dans le cadre normatif.
Il est également important de parler des doubles standards libéraux ou de ce que l'anthropologue Mayanthi L. Fernando a noté dans son livre « The Republic Unsettled: Muslim French and the Contradictions of Secularism » ; il s’agit des « asymétries de tolérance ».
Ce que Fernando essaie d'expliquer dans son livre, c'est que le libéralisme peut rejeter certaines pratiques considérées comme étrangères, car il appartient à une « communauté morale ».
En d'autres termes, Fernando pense qu'il existe quelque chose qui s'appelle « nous » – blanc, libéral, laïc – un « nous » politique construit comme la position par défaut de la rationalité.
Face à ce « nous », on retrouve les musulmans, un corps de personnes qui, s'ils osent dénoncer le magazine, sont accusés de manque d'objectivité, et représentés comme non civilisés ou en passe de se civiliser.
Le musulman ne peut parler que pour et à partir de sa perspective particulière. S'ils continuent à dénoncer les caricatures, le discours normatif déploie le langage de l'extrémisme et du terrorisme.
Ce n'est pas qu'un jeu de langage, bien au contraire. Ce langage est utilisé pour identifier et punir ceux qui sont étiquetés comme « extrémistes » ou « terroristes » - nous avons là toute la panoplie de l'État sécuritaire : de la surveillance à la torture et à la mort.
Le récit officiel nous dit que Charlie Hebdo est un magazine satirique, un magazine qui n'épargne personne, et c'est pourquoi le magazine doit être protégé. Mais, si l'on prête attention à l'histoire de la laïcité en France, l'un des matériaux discursifs conformes à l'univers idéologique de Charlie Hebdo, on obtient un autre regard.
Charlie Hebdo appartient à cette matrice politico-idéologique connue sous le nom d'islamophobie. Et nous pouvons définir l'islamophobie comme un type de racisme qui cible les expressions de la musulmanité ou de la musulmanité perçue. Le racisme avec un objectif politique clair : bloquer la possibilité d'une identité politique musulmane autonome.
Charlie Hebdo fait partie du statu quo hégémonique actuel. Ce n'est pas satirique, car pour être satirique, il faut avoir un sens de l'humour construit de bas en haut et non de haut en bas.
Sa satire suit le modèle descendant, et vous avez de nombreux exemples de coups dirigés contre les Noirs, les migrants et les musulmans. Seuls ceux qui sont au pouvoir ou qui ont du pouvoir peuvent trouver le sens de l'humour descendant amusant.
On peut même dire que le magazine, loin d'être drôle, renforce l'« altérité » des musulmans et des autres minorités vulnérables. Charlie Hebdo garde intact le langage racialisant.
Quand les voix musulmanes sont réduites au silence, quand quelqu'un dit que les musulmans n'ont pas le droit de critiquer Charlie Hebdo, ce que l'on entend, derrière le bruit de la « liberté d'expression », c'est le langage normatif qui tente de conserver son privilège.
Xavier Villar est docteur en études islamiques et chercheur qui partage son temps entre l'Espagne et l'Iran.
(Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement celles de Press TV)