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L’Algérie et la Palestine : Les origines d’une solidarité inconditionnelle

US Rep. Ilhan Omar (D-MN) (L) talks with Speaker of the House Nancy Pelosi (D-CA) during a rally with fellow Democrats before voting on H.R. 1, or the People Act, on the East Steps of the US Capitol on March 08, 2019 in Washington, DC. (AFP photo)
De la Palestine à l'Algérie, résister c'est exister (Photo d'illustration)

 

Tel un dogme, la cause palestinienne unie les Algériens peuple, politiciens, militants et intellectuels. Le peuple l’exprime à chaque occasion, et l’Etat algérien apporte depuis sa création, son appui politique, diplomatique, financier, militaire et humanitaire.   

Dans les rues d’Alger, les jeunes et moins jeunes interrogés par PressTV, sont unanimes dans leur solidarité avec la cause palestinienne. « Lorsqu’on évoque la Palestine je pense à la Hogra « oppression » et à l’injustice. C’est une cause qui doit être soutenue par tous les Algériens », s’exprime Amel 45 ans, dirigeante d’une boîte de communication.  « Nous sommes tous affectés et attristés par ce qui se passe sur cette terre », dit une retraitée de 67ans, ajoutant « Heureusement que nous les Algériens, avons toujours été solidaires. Mon mari a fait des dons pour cette cause à plusieurs reprises, à l’instar de beaucoup d’hommes libres dans ce pays. Et puis, notre diplomatie nous a toujours honorés». Rabah 59, Oranais en visite à Alger, loue également la diplomatie algérienne et dit qu’étant donné que la Palestine abrite El Qods (la mosquée d’Al Aqsa) qui est le deuxième lieu saint pour les musulmans, cela rend cette cause  sacrée pour tous les musulmans ». Sacrée, « mais aussi une question d’honneur pour les musulmans », estime Amine 39 ans, fonctionnaire. « Les Palestiniens ? On sait qu’il faut les soutenir et les aider », disent deux lycéennes de 15 ans. « Nous avons de l’empathie pour eux et pour leur cause. Ce sont nos frères », déclare une quinquagénaire, mère au foyer. Deux jeunes hommes âgés de 25 (au chômage) et 27(commerçant), sentent que la Palestine est « leur deuxième patrie ». Ils affirment qu’ils suivent continuellement les informations la concernant et qu’ils partagent toute sa douleur ».

  Lamia est une coiffeuse de 35 ans. Elle dit qu’elle ne s’intéresse pas à la Politique, mais que tout ce qu’elle sait sur la Palestine c’est que c’est « un pays colonisé par Israël et que sa cause est celle de tous les Arabes ». « Mais ces Arabes sont toujours divisés, c’est pour cela qu’on n’a pas encore mis fin à cette oppression », l’interrompt son amie Nesrine, infographe du même âge. Ami (Oncle) Moustapha, 67 ans, retraité du service de la santé, voit qu’il y a plus qu’une division chez les Arabes, pour lui « les Arabes ont trahi cette cause et leurs dirigeants jouent sur les deux cordes », opine-t-il, en concluant que « La solution ne peut se faire que par une entente et une position ferme de la part des dirigeants arabes ». Du même avis est Réda, 41 ans, gérant d’un restaurant au centre d'Alger  : « Si les Arabes s’unissaient, cette occupation prendrait fin naturellement », a-t-il lancé.        

Les facteurs communs, la religion et la lutte contre l’occupation

Une vingtaine d’autres témoignages recueillis abondaient dans le même sens : Il y a un peuple opprimé, spolié de sa terre, par un colonisateur. Il est courant de voir le drapeau palestinien arboré par les algériens dans toutes les manifestations sociales, culturelles, sportives ou autres, et ce, aussi bien en Algérie qu’à l’étranger. Interrogé par PressTV sur cette solidarité quasi-unanime des algériens avec la cause palestinienne, le politologue Driss Chérif, précise qu’il n’y a pas eu de sondages, mais que les Algériens -dans leur écrasante majorité- sont attachés à la cause palestinienne. « Pour eux le problème ne se pose pas. Il y a un agresseur et un agressé », relève-t-il. Selon lui, ceci s’explique par deux facteurs : le facteur religieux et le facteur émotionnel. « Le facteur religieux/ spirituel est motivé par l’existence du deuxième lieu sacré de l’Islam sur cette terre ( La Mosquée Al Aqsa), et  cela façonne le regard des Algériens à l’endroit de cette cause. Quant au facteur émotionnel, il découle des sentiments de refus de toutes formes de domination, de colonisation et d’injustice, naît pendant la guerre de libération nationale (1954-1962) », analyse-t-il.

 

Pas uniquement

 En effet, les forces nationalistes, de gauche, progressistes, d’extrême gauche, islamistes, et toutes les autres familles politiques algériennes ont adopté cette cause. « C’est l‘une des rares causes qui unifie les Algériens », confirme Abdelaziz Rehabi, diplomate algérien et ancien ministre de la Communication.

Aouicha Bekhti est une militante de gauche, (ancienne de PAGS (Parti de l’avant-garde Socialiste) et féministe,. Elle affirme que les militants de gauche partagent le même sentiment d’injustice internationale subie par les Palestiniens, que les autres Algériens et la plupart des militants de gauche dans le monde. Hakim Addad, membre de partis progressistes de gauche en Algérie et en France, ajoute que la question palestinienne était une question fondamentale pour tous les mouvements de gauche. « Cependant, et depuis la chute du mur de Berlin, cette question n’est utilisée qu’à des fins politiciens », regrette-t-il. Ce fondateur du Rassemblement Action Jeunesse (RAJ), note que pour les progressistes du Bassin méditerranée, il s’agit d’une question « d’occupation de territoires ».

Ça a commencé fin XIX

La relation entre l’Algérie et la Palestine est beaucoup plus profonde dans l’histoire. Selon l’historien Daho Djerbal, elle puise ses racines des débats sur le partage des territoires sous tutelle du Levant, soulevés par le mouvement réformiste Enahada vers la fin du XIX eme siècle. Ce professeur d’Histoire à l’Université d’Alger, rappelle que ce mouvement de renaissance arabe (al Nahda), représenté par Djamal Edine Al Afghani et Mohamed Abdou, qui visait l’introduction de réformes des Etats et modernisations des sociétés, traitait également les questions relatives à l’affirmation de l’identité et de la personnalité dans le monde arabo-musulman, d’où l’émergence de débats sur la question de « la résistance contre l’occupant ». Ces pensées étaient diffusées à l’époque à travers des journaux et des périodiques publiés en Egypte et dans les pays du Croissant Fertile. Seule une petite élite de lettrés algériens y avait accès. « La conscience sur la question de ce qui était connu à l’époque comme la Syrie-Palestine, était ainsi indirecte et limitée, car seule une minorité d’élite qui lisait les périodiques ou qui se permettait de voyager au Moyen-Orient ou d’aller en pèlerinage à la Mecque, en parlait dans des cercles ou des pupitres des mosquées », explique M. Djerbal, également directeur de la revue d’études et de critiques sociales Naqd.

Avec la naissance des mouvements de résistance contre l’occupation française et espagnole en Afrique du Nord au début du XX ème siècle,  la libération de la Syrie-Palestine est introduite dans les discours et les actions. L’Emir Khaled, petit-fils de l’Emir Abdelkader, désigné comme le père du nationalisme algérien, « évoque la question de la Libération de la Syrie-Palestine, dans les conférences qu’il anime à Paris entre 1924 et 1925, sur les droits des peuples à disposer de leur territoire », relève M. Djerbal. Concomitamment à cela, le chef berbère marocain Abdelkrim Al Khattabi, appelle à la création d’un mouvement de résistance contre l’occupation française et espagnole au Maroc, ainsi qu’à la solidarité avec les peuples victimes d’invasions étrangères, particulièrement ceux du Moyen-Orient.

 

500 militants maghrébins marchent à pieds jusqu’en Palestine

Dans les années trente et quarante, une deuxième phase dans l’adoption de la question de libération palestinienne naît auprès « des émigrés prolétaires algériens en France, donnant lieu à l’apparition d’une sensibilisation à l’identité du destin ou du devenir dans les pays occupés », souligne le directeur de Naqd.

En 1936, le congrès tenu par l’Association des Oulémas musulmans à Alger traite pour la première fois la question palestinienne, laquelle devient récurrente dans les publications périodiques de l’association. Dix ans plus tard, « Abdekrim Al Khattabi, évadé au Caire de sa déportation à Madagascar, crée un comité de libération de l’Afrique du Nord et des commandos nord africains pour aller lutter contre l’occupation en Palestine. Plus de 500 militants algériens, marocains, tunisiens et libyen vont, entre 1947-1948, ‘ à pieds ’ jusqu’en Palestine pour la libérer. Ces commandos formeront par la suite les noyaux des armées de libération nationale du Maghreb », relate le directeur de Naqd.

La question palestinienne de la même nature que l’indépendance de l’Algérie

Daho Djerbal affirme que pendant la guerre de libération 1954-1962, la question palestinienne était considérée par les militants algériens de la même nature que la question de l’indépendance de l’Algérie.  C’est ce qu’atteste Idir A, ancien moudjahid (combattant pour l’indépendance), dans la section française du FLN (Front de Libération National), connue à l’époque sous le nom de la wilaya (province) 7.  A 78 ans, cet invalide de guerre originaire de la grande Kabylie, raconte l’importance que revêtait la question palestinienne au sein de leurs rangs. « C’était une question fondamentale pour nous. Une question de droit à la liberté. Le Palestinien est comme moi Algérien, comme le Français, l’Américain, le Chinois, le Latino, et tous les autres humains, un être libre qui a le droit de jouir de son entière liberté dans sa terre. C’est sur cette base que nous apportions et continuons à apporter notre solidarité à la Palestine », témoigne-t-il.

 Après l’indépendance, l’Algérie a annoncé son soutien indéfectible à la Palestine. Houari Boumedienne, troisième président de l’Algérie entre 1965-1978, avait prononcé sa fameuse phrase en 1974, (Nous sommes avec la Palestine qu’elle ait tort ou raison), devenue une ligne de conduite pour la plupart des Algériens.

Alger n’avait jamais cessé de déployer ses efforts diplomatiques auprès de la Ligue arabe, de l’Onu et toutes les autres instances internationales à fin de « donner une reconnaissance à la cause palestinienne et lui assurer une représentativité diplomatique. L’Algérie s’est également appliquée à unifier les rangs des différents courants palestiniens. Ainsi le pays abritait des bureaux de l’OLP (Organisation de Libération de la Palestine), du FPLP (Front Populaire pour la Libération de la Palestine) et du DFLP (Front Démocratique pour la Libération de la Palestine) », tient à relever Daho Djerbal. Ce dernier rappelle que le soutien de l’Algérie à la cause palestinienne était aussi militaire. Il s’est incarné d’abord par « l’ouverture de camps entraînement en Algérie, au lendemain de son indépendance, pour former les Palestiniens à lutter pour leur libération.  Mais aussi, par l’envoi des troupes algériennes sur le front lors de la guerre israélo-arabe de 1973 ».

Proclamer un Etat Palestinien en dépit  des pressions

Le plus fort acte de solidarité à l’adresse de la Palestine, reste la proclamation d’un Etat palestinien à Alger, le 15 novembre 1988. Le diplomate Abdelaziz Rehabi, dit avoir eu « le privilège », d’assister à cet événement. « Nous avons subi des pressions internationales indirectes et même directes pour renoncer à la proclamation de l’Etat palestinien. Les pressions internes n’étaient pas les moindres, car cet événement a eu lieu en pleines émeutes déclenchées en octobre 1988. Le contexte était impossible, mais nous n’avons pas cédé », se souvient-il.  M. Rehabi tient à préciser que l’Algérie avait convié à cette occasion, toutes les factions palestiniennes.

« L’Algérie était la première à reconnaître l’Etat palestinien et lui assurer un siège. Juste après, elle a commencé à former sur son sol, des régiments et des bataillons et d’autre éléments de ce qui était destiné à être l’armée palestinienne », rappelle Daho Djerbal. Sur cette information souvent occultée, Abdelaziz Rehabi précise que ces éléments venaient à 90% des camps de réfugiés du Liban, tandis que les autres provenaient des camps de Syrie, d’Iraq et de Jordanie.  D’après lui, ils se sont dispersés avec la dispersion des différentes formations politiques palestiniennes.

 De sa longue expérience diplomatique, M. Rehabi note que l’Algérie se distingue par le non conditionnement de son aide et appui à la Palestine : « Nous offrons chaque année entre 30 et 32 millions de dollars pour le fonctionnement du budget de l’Etat palestinien, sans accuser le moindre retard, ne serait-ce que de 24h. Cette aide financière, à côté de l’aide humanitaire et diplomatique, n’ont jamais était conditionnée par la nature des interlocuteurs palestiniens, ou même des événements internes. Nous respectons le principe de non-ingérence dans les affaires internes. L’Algérie n’a pas interrompu ses aides financières depuis le début des crises dans le monde arabe en 2011». M. Rehabi conclut en soulignant que « l’Algérie n’a pas changé d’approche, mais c’est l’intérieur palestinien qui a changé ».

La guerre civile n’a pas altéré la perception de la cause

L’intérieur algérien a connu à son tour des changements majeurs depuis les années 1980. Les pensées radicales qui s’introduisaient timidement dans les années 1970, avaient pris de l’ampleur dans les années 1980, avant de proliférer dans les années 1990. Ces pensées ont changé le comportement de beaucoup d’Algériens, et ce, sur plus d’un registre. Mais qu’en est-il de la question palestinienne ? L’islamologue Hocine Gaham, spécialiste des pensées islamistes, invite à distinguer entre trois mouvances islamistes. « Il y a d’abord les Frères musulmans « Ikhwanes », représenté en Algérie par le MSP  (Mouvement de la Société pour la Paix) et qui sont des alliés du Hamas. Leur position est naturellement calquée sur celle du Hamas. Puis, il y a deux pensées salafistes : la salafiste militarisée et la salafiste wahhabite. Pour les premiers, les armes sont l’unique moyen de changement politique. Simplement, les salafistes n’ont porté les armes que contre les arabes et les musulmans en général, et jamais contre Israël. Les seconds, wahhabites, qui représentent l’entité des fatwas de l’Arabie Saoudite, émettent des fatwas dans le sens de la position du Royaume, souvent hostile à certains mouvements de résistance contre Israël comme le Hezbollah. Hocine Gaham évoque une des fatwas d’Ibn Baz, qui s’opposait à la lutte armée contre Israël, et une autre émise en pleine guerre israélienne contre le Hezbollah en 2006, quand le mufti saoudien Ibn Jebrin interdisait « les prières de soutien au Hezbollah contre les sionistes ». Cet islamologue observe que ces positions salafistes-wahhabites vis-à-vis de la cause palestinienne n’avaient pas d’échos auprès des Algériens, même islamisés.

 

Selma Kasmi

La journaliste Selma Kasmi travaille au journal électronique spécialisé Oil & Gaz Business Magazine. Elle a rédigé cet article à partir d'un reportage réalisé pour Press TV français

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SOURCE: FRENCH PRESS TV