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Pourquoi les Saoudiens veulent un cinquième de pourparlers avec les Iraniens à Bagdad?

US Rep. Ilhan Omar (D-MN) (L) talks with Speaker of the House Nancy Pelosi (D-CA) during a rally with fellow Democrats before voting on H.R. 1, or the People Act, on the East Steps of the US Capitol on March 08, 2019 in Washington, DC. (AFP photo)
Le dialogue irano-saoudien et ses liens avec l'aggravation de la crise ukrainienne. (Illustration)

L'Iran répondra-t-il à la « surprenante » invitation saoudienne de tenir le cinquième round des négociations de Bagdad ? Et quel est son rapport avec la fin imminente des négociations nucléaires de Vienne et l'aggravation de la crise ukrainienne ? Et comment Téhéran sera-t-il le plus fort et Riyad le plus faible dans les deux cas ? Quelles sont les répercussions de tout cela sur la guerre au Yémen, s’interroge le rédacteur en chef de Rai Al-Youm.

« Le prince Faisal bin Farhan, le ministre saoudien des Affaires étrangères, a confirmé lors de sa participation à la conférence de Munich sur la sécurité que son pays se réjouit d'organiser un cinquième cycle de pourparlers directs avec l'Iran malgré l'absence de progrès substantiels lors des quatre cycles précédents qui se sont tenus à Bagdad », et il a appelé l'Iran à « changer son comportement dans la région ». Mais les souhaits sont une chose, et l'évolution des réalités sur le terrain en est une autre », a écrit Abdel Bari Atwan dans son éditorialiste du 20 février.

Ces déclarations du prince ben Farhan coïncident avec la publication des rapports qui parlent de "progrès" dans les négociations de Vienne, et de l’accès imminent à un accord entre l'Iran et les interlocuteurs, lequel accord conduirait à la levée complète des sanctions, en échange du retour de l'Iran aux engagements de  l'accord de 2015 dont le président Donald Trump s'est retiré en 2018.  Au fait, l'Arabie saoudite vit ces jours-ci une double inquiétude, et suit de près les négociations de Vienne, car elle est bien consciente que l'Iran en sortira renforcé,  et gagnant dans les deux cas, c'est-à-dire s’il parvient à un accord ou non, alors que Riyad, lui en sera l'un des principaux perdants.

« Parvenir à un accord à Vienne signifie lever toutes les sanctions économiques contre l'Iran et rendre son pétrole à ses clients dans le monde, en échange du retour des inspecteurs internationaux dans ses installations nucléaires déclarées, ce qui signifie que l'Iran recevra 300 milliards de dollars d'un coup, et immédiatement deux cents milliards de dollars de dépôts et de soldes. Un milliard de dollars, c'est la compensation totale qu'il peut obtenir à la suite de l'imposition de sanctions, notamment sur ses exportations de pétrole. Quant à l'échec et à l'effondrement des négociations, cela signifie que l'Iran continue à maintenir son programme nucléaire et porter le taux d'enrichissement de l'uranium à plus de 90 % (actuellement, à un taux de 60 %), ce qui le fera passer d'un "État au seuil de nucléaire" à un véritable État nucléaire s'il le veut » précise l’article.

Plus loin dans ses propos, Atwan  souligne que l'escalade des tensions entre la Russie et l'Amérique sur le dossier ukrainien est également dans l'intérêt de l'Iran, « car cette crise détourne l'attention des États-Unis et celle du monde entier sur la crise ukrainienne, ce qui affaiblit la position US dans les négociations à Vienne, et pourrait pousser Washington à faire preuve de plus de souplesse, et répondre aux demandes iraniennes de levée complète de toutes les sanctions, et des garanties des deux chambres du Congrès de ne pas se retirer de tout nouvel accord conclu à l'avenir ».

Et Rai Al-Youm de poursuivre : « L'inquiétude saoudienne va inévitablement s'aggraver, et quels que soient les résultats des négociations nucléaires de Vienne, elle sera l'une des grandes perdantes, comme nous l'avons dit plus haut, car l'accord qui prévoit la levée du blocus conduira à l'assouplissement ou à l'arrêt de l'hostilité américano-européenne à son égard surtout que l'Europe a d'autres chats à fouetter en ce moment et donne l'impression de se désintéresser du nucléaire iranien. Cela fera peut-être de l'Iran un pays ami, ce qui réduira l'importance stratégique des pays du Golfe (Persique), et de l'Arabie saoudite en particulier, et couronnera officiellement l'Iran comme un grand pays régional qui possède un énorme stock de missiles et de drones, ce qui le qualifie pour défendre ses intérêts et ceux de ses alliés dans la région, la Syrie,  Ansarallah au Yémen, le Hezbollah au Liban, les Hachd al-Chaabi en Irak, et les mouvements du Hamas et du Jihad islamique en Palestine. L’on s'attend à ce que cette inquiétude saoudienne soit doublée si les négociations de Vienne échouent et se terminent sans accord, parce que là encore,  l'Iran deviendra une puissance nucléaire de facto, et cela pourrait conduire à une augmentation des possibilités de confrontation militaire dans la région du Golfe (Persique) et au Moyen-Orient, et au lancement d’une course aux armements nucléaires et conventionnels. Tout ceci fera pression au Trésor saoudien qui est sous le lourd fardeau des armements de la guerre au Yémen. »

L’article ajoute que les négociateurs iraniens, que ce soit dans les pourparlers nucléaires de Vienne ou dans les quatre rounds de négociations avec l'Arabie saoudite à Bagdad, jouissent d'un long souffle et d'un sourire permanent, plein d'optimisme quant à la possibilité de parvenir à un accord. « Mais en réalité, ils savent ce qu'ils veulent. S'ils n'ont pas fait une seule concession, pendant plus de dix mois de pourparlers avec Riyad, et pendant neuf rounds de négociations avec six grands pays nucléaires, et refusé de s'asseoir face à face avec les Américains, vont-ils céder aux exigences saoudiennes, et en échange de quoi ? Ouvrir une ambassade à Riyad et revenir à l'Organisation de la coopération islamique », s’interroge le journal.

Le prince ben Farhan a déclaré dans ses mêmes déclarations à Munich que « l'Iran fournit toujours au mouvement Ansarallah des missiles balistiques et des drones, et ce n'est pas un secret, et peut-être lui demande-t-il carrément d'arrêter son soutien à Ansarallah comme condition des négociations ». « Mais il sait très bien que l’Iran n'a pas répondu à ces demandes lors des négociations de Bagdad, et il est certain qu'il (Iran) ne changera pas cette position dans les négociations à venir, à moins que toutes les sanctions saoudiennes contre le Yémen soient levées, que la victoire de ses alliés houthis soit reconnue et qu’ils prennent le contrôle total du Yémen », précise Atwan.

« L'Amérique, qui a abandonné ses alliés afghans, et avant eux les Vietnamiens, abandonnera la plupart de ses alliés du Golfe (Persique), et leurs nouveaux protecteurs israéliens, surtout si la tension en Ukraine se transforme en affrontements militaires, car elle sera confrontée à une alliance de deux superpuissances, et pour la première fois dans l'histoire des deux pays, une alliance militaire l'a devancé »

Et Rai Al-Youm de conclure : « Il nous est difficile de nous attendre à ce que les négociations irano-saoudiennes reprennent prochainement à Bagdad pour deux raisons : la première est la préoccupation mondiale face à la crise ukrainienne, et le déclin de l'importance de la région du Golfe (Persique) en tête de l'agenda américain, et la seconde est la difficulté de l'Iran à répondre aux demandes irrationnelles saoudiennes de cesser de soutenir Ansarallah pour le moment. Et si les négociations ont lieu, ce sera un chapitre, ou un nouveau cycle du dialogue de sourds. »

 

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SOURCE: FRENCH PRESS TV