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Djibouti, pays de toutes les convoitises

US Rep. Ilhan Omar (D-MN) (L) talks with Speaker of the House Nancy Pelosi (D-CA) during a rally with fellow Democrats before voting on H.R. 1, or the People Act, on the East Steps of the US Capitol on March 08, 2019 in Washington, DC. (AFP photo)
L'armée américaine en Afrique (Photo d'illustration)

Djibouti est pris au piège entre les tirs croisés de la nouvelle route de la soie chinoise et de ses anciennes attaches occidentales.

Le voici coincé entre le bourbier somalien et ses ramifications régionales ; les deux pays frères, mais pourtant ennemis dans la course au leadership régional, que sont l’Éthiopie et l’Érythrée ; et la guerre au Yémen. Djibouti est perçu comme un îlot de « stabilité », une stabilité due à l’autoritarisme politique et l’obsession sécuritaire des autorités locales sur le plan intérieur, mais sans conteste au parapluie français sur le plan extérieur. Le positionnement stratégique de la petite République de Djibouti l’a placée au cœur de « la nouvelle guerre froide » qui se dessine dans la configuration des logiques de puissances au début de ce XXIe siècle.

En accueillant sur son sol des puissances aux croyances idéologiques, aux intérêts et aux valeurs totalement opposées, la petite République risque de payer le prix de sa propre stabilité dans le cas où ses relations avec l’un des camps (Chine et OTAN) se refroidiraient. Indépendante depuis 1977, mais toujours sous le parapluie militaire français qui y maintient encore une imposante présence militaire, elle accueille dès l’année 2002 une base militaire US de 4000 hommes avec toutes les facilités navales, aériennes et terrestres. Cette base sert de tête de pont à l’ensemble des opérations US au Yémen et en Somalie, mais reste aussi un point de départ pour les opérations des drones de la CIA dans toute la région. En effet, la piraterie maritime au large de la Somalie et du golfe d’Aden amplifie son rôle stratégique et enrichit ses hôtes.

La cité-État accueille sur son sol la mission européenne Atalante (mission militaire navale européenne mise sur pied en 2008). Son objectif consiste à sécuriser les navires marchands ainsi que les pétroliers européens, d’autant que le détroit de Bab el-Mandeb laisse transiter une part assez conséquente des importations en gaz et pétrole européen. Par ailleurs, les forces armées italiennes s’y sont installées en 2011. Quant aux forces d’autodéfense nippones, elles inaugurent leurs premières bases militaires à l’étranger à Djibouti, dans le cadre de la Mission militaire pour la lutte contre la piraterie et la sécurisation des navires marchands japonais.

En échange de leur présence militaire, les forces de l’OTAN paient des redevances annuelles de plusieurs centaines de millions de dollars. Toutefois, ces pays de l’OTAN n’ont à Djibouti que des intérêts militaires et géostratégiques et non économiques ou financiers, donc l’investissement occidental est quasi inexistant. Quant à ces redevances, elles atteignent 15 % du budget national selon le président djiboutien.

La base militaire française à Djibouti (Archives)

Sans apport en capital majeur pour nourrir ses ambitions de plaque tournante régionale et développer ses infrastructures stratégiques, Djibouti ne pourrait prétendre à un développement soutenu par une forte dynamique de croissance économique. Réticent à investir dans l’économie de la cité-État, les forces de l’OTAN ont affiché leurs intérêts égoïstes de se concentrer exclusivement sur leur présence militaire sans vouloir s’engager dans les énormes opportunités dont regorge la petite République. Sans ressources naturelles ni secteur secondaire développé et aux prises avec un chômage endémique, Djibouti tire plus de 80 % de son PIB du secteur des services. Comment un pays peut-il se développer si son seul avantage, à savoir sa position hautement stratégique, ne lui permet guère de prétendre à un développement durable ? Les autorités réservent une surprise de taille aux pays de l’OTAN installés sur son sol, et celle-ci sera à la hauteur de la déception des Djiboutiens vis-à-vis de la présence des forces de l’OTAN.

Les prospectives de sécurité énergétique, les opportunités économiques et une réelle stratégie politique ont attiré la Chine en République de Djibouti. Devenue l’un des principaux importateurs d’hydrocarbures dans le monde, la Chine vise plus que tout à sécuriser les approvisionnements vitaux pour ses industries. Ce faisant, Pékin, avec l’accord des autorités locales, a décidé de mettre sur pied une base militaire permanente sur le sol de Djibouti, qui sera opérationnelle en 2017. Incontestablement, l’arrivée de cette puissance modifie le rapport de force local. Car l’empire du Milieu, contrairement aux pays de l’OTAN installés sur le sol de Djibouti, participe activement au développement du pays et finance généreusement l’ensemble des projets d’infrastructures stratégiques qui répondent aux ambitions de plaque tournante régionale que nourrissent les autorités locales.

Des puissances aux ambitions politiques internationales et aux croyances idéologiques si diamétralement opposées peuvent-elles cohabiter dans un même pays sans qu’entrent en collision leurs intérêts respectifs, surtout quand le pays en question est une petite République sans moyens coercitifs pour s’ériger en arbitre en cas de litiges mineurs ou majeurs ? Si oui, pourquoi lesdites puissances n’arrivent-elles pas à s’entendre sur la scène internationale et ne peuvent pas même cohabiter dans un contexte global ? La question est simple. La cupidité américano-sioniste, c’est-à-dire celle des médias et des banques qui dominent totalement les affaires internationales depuis la chute de l’URSS, laissera-t-elle des puissances de premier plan telles que la Chine ou la Russie participer à la gestion dans un respect mutuel des affaires internationales ? De toute évidence, non ! L’affrontement est d’ailleurs inévitable et nous semblons être entrés dans une nouvelle guerre froide dont l’issue est imprévisible.

Quant à la cité-État de Djibouti, son sort est sur le fil du rasoir. La volonté de l’OTAN de garder sous contrôle son ancienne chasse gardée pourrait pousser les néoconservateurs, qui prennent de l’ampleur depuis la démission du général Flynn, à vouloir se défaire de l’actuel régime sous couvert de révolution colorée. Mais la Chine laissera-t-elle passer ce coup sans réagir, comme cela a déjà été le cas au Soudan, ou s’engagera-t-elle aux côtés des autorités gouvernementales locales contre toute tentative de déstabilisation à la syrienne ?

Compte tenu des milliards de dollars investis par la Chine à Djibouti, de son rôle de porte d’entrée vers toute sa zone d’influence géostratégique et sa base militaire sur place, il est peu probable que la Chine s’abstienne d’intervenir si les forces de l’OTAN cherchaient à se débarrasser des autorités locales via leurs méthodes classiques de révolution colorée.

Mais la question qui reste à clarifier consiste à savoir jusqu’où la Chine est prête à aller pour défendre ses intérêts en République de Djibouti. S’il semble acquis qu’elle interviendra diplomatiquement et politiquement en soutenant les autorités locales, une intervention militaire chinoise n’est pas à exclure compte tenu des immenses enjeux dans cette petite République.

L'article rédigé par Ali Moussa pour Press TV français

Ali Moussa est chercheur et doctorant djiboutien en science politique

 

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SOURCE: FRENCH PRESS TV